Depuis l'automne 2015, avec le soutien de l'ONG Kepler, l'université américaine Southern New Hampshire a investi le camp de Kiziba, dans l'ouest du Rwanda, créé au début de la première guerre du Congo (1996-1997).
Ce camp accueille plus de 17.000 réfugiés, essentiellement des Congolais qui ont fui l'instabilité et les persécutions ethniques dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC) voisine.
Dans deux salles de classe prêtées par l'école secondaire du camp, un bâtiment en briques ocres au toit de tôle et aux portes et volets bleus, une poignée de réfugiés sélectionnés à l'issue d'un examen peut suivre gratuitement le cursus en ligne de cette université et tenter de décrocher un diplôme de licence reconnu aux Etats-Unis.
Cette année, une deuxième promotion de 25 élèves d'une vingtaine d'années a entamé des études en communication ou en gestion. Ce rêve était jusqu'il y a peu inaccessible: avec des frais d'inscription oscillant entre 850 et 1.200 dollars par an (760/1.075 euros), le coût d'une scolarité universitaire au Rwanda est prohibitif pour les réfugiés.
De plus, le camp constitué de maisons de briques ou de terre est situé sur une colline isolée à proximité du lac Kivu. La ville de Kibuye, à une quinzaine de kilomètres, abrite bien une faculté de médecine, mais les principales universités se trouvent dans la capitale Kigali, à plus de trois heures de route.
"A la fin de mes études secondaires, je n'avais aucun espoir de suivre un jour un cursus universitaire, mais maintenant je vois que c'est possible, car je suis en seconde année!", s'enthousiasme Eugénie Manirafasha, grands yeux pétillants sous cheveux tressés, qui n'avait que six mois lorsque sa famille a fui le Sud-Kivu pour le Rwanda en 1996.
Son rêve: obtenir son "diplôme d'administration du secteur sanitaire et devenir directrice d'hôpital".
Encadrés par des professeurs, les réfugiés suivent le même programme que les étudiants américains et accèdent aux cours via une plateforme en ligne. Ils achèveront leur cursus universitaire à leur rythme, pendant trois à cinq ans, la première année étant surtout consacrée à une remise à niveau, notamment en anglais.
- 'Rendre au pays d'accueil' -
L'accès à l'enseignement supérieur "est un enjeu très important pour les réfugiés partout dans le monde", estime Nina Weaver, la directrice en charge des programmes éducatifs de Kepler. Il l'est d'autant plus au Rwanda, souligne-t-elle, "car ici, les réfugiés ont le droit de travailler et sont libres de leurs mouvements, alors que dans beaucoup d'autres pays, ce n'est pas le cas".
Ce diplôme représente donc "une opportunité pour les réfugiés de mieux s'intégrer" dans la société rwandaise, de contribuer à son économie et ainsi de "donner en retour à leur pays d'accueil", énumère Mme Weaver.
Ce cursus "est un moyen de rendre les réfugiés indépendants" de l'aide internationale, explique à son tour Mark Roeder, responsable du bureau de Kibuye du Haut-commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR), d'autant que la présence des réfugiés congolais au Rwanda perdure. Actuellement, ils sont 74.000 répartis dans cinq camps dans le pays.
Depuis la fin des années 1990, dans le sillage du génocide au Rwanda, qui a fait environ 800.000 morts essentiellement parmi la minorité tutsi, l'est de la RDC est déchiré par des conflits armés alimentés par des différends ethniques et fonciers, la concurrence pour le contrôle des ressources minières et des rivalités entre puissances régionales.
Un sondage du HCR mené auprès des réfugiés de Kiziba - pour la plupart de l'ethnie tutsi - montre que 93% des personnes interrogées ne souhaitent pas rentrer en RDC, craignant pour leur sécurité.
De plus, "beaucoup (de réfugiés congolais) sont nés au Rwanda", détaille M. Roeder. "Plutôt que de rentrer dans un pays qu'ils ne connaissent pas, il est plus probable qu'ils décident de rester là où ils sont nés ou qu'ils tentent d'émigrer dans un pays tiers".
- Rien à manger -
La mise en place dans un camp de réfugiés de ce programme universitaire, financé par la fondation Ikea, n'est cependant pas sans difficultés. "Nous utilisons des panneaux solaires pour alimenter en électricité les ordinateurs et la connexion internet, mais ce n'est pas toujours une technologie fiable", témoigne Mme Weaver.
Quant aux étudiants, "ils doivent soutenir (financièrement) leur famille, font face à l'insécurité alimentaire et la sécurité en général n'est pas bonne dans le camp", ajoute la directrice des programmes.
"Les mauvaises conditions de vie affectent parfois mes études", reconnaît d'ailleurs Eugénie Manirafasha, qui vit à Kiziba avec ses parents et ses cinq frères et soeurs.
En plus de ses études, elle enseigne quatre fois par semaine le Kinyarwanda aux lycéens du camp et gagne ainsi un petit pécule d'environ trente dollars par mois. Mais, concède-t-elle, "lorsque certains jours, je n'ai rien à manger, ni aucun vêtement pour m'habiller, cela me demande des efforts pour ne pas baisser les bras".
Avec AFP