La tâche était périlleuse. Pour ramasser du bois de chauffage au Soudan du Sud, ravagé par les inondations, Roda Nyawuy devait patauger dans les eaux troubles, sans savoir ce que trouvait sous la surface.
"Avoir du bois de chauffage était très difficile. Il y a serpents et des épines", témoigne à l'AFP cette mère de sept enfants à Bentiu, une ville du nord qui connait d'importantes inondations. Mais sa famille n'avait pas les moyens d'acheter du gaz ou du charbon de bois. Et la solution est venue d'une mauvaise herbe, qui pousse à profusion dans la région.
"C'est beaucoup plus facile de faire ça", raconte Roda Nyawuy, 40 ans, désignant les charbons ardents qui alimentent le petit four en argile à ses pieds. À première vue, ces briquettes ressemblent au charbon de bois vendus sur le marché de Bentiu, mais elles ne sont pas dérivées du bois.
Elles sont fabriquées à partir de jacinthe d'eau, une plante aquatique envahissante à croissance rapide qui a prospéré au Soudan du Sud ces quatre dernières années, en raison des inondations. Cette mauvaise herbe, qui flotte à la surface, est abondante et riche en biomasse, une matière organique qui produit de l'énergie et peut être utilisée comme combustible de cuisson durable et bon marché.
À Bentiu, le changement climatique remodèle le paysage et la jacinthe d'eau s'étend à perte de vue, recouvrant la plaine inondée de taches vertes. Mauvaise herbe dans la plupart des régions du monde, elle aide les femmes de Bentiu. La tâche difficile et dangereuse de ramasser du bois de chauffage incombe aux femmes et aux filles, qui doivent s'aventurer sur de longues distances pour en trouver.
Loin des remblais en terre qui protègent Bentiu des inondations, les femmes sont souvent victimes de blessures ou de violences sexuelles. La jacinthe est au contraire ramassée rapidement et en toute sécurité au bord de l'eau à l'aide de longs râteaux, avant d'être séchée au soleil.
Moitié moins cher
Les tiges sont placées dans un fût en métal scellé et cuites au-dessus d'un feu pendant environ 20 minutes, puis mélangées avec de l'eau en une pâte noire et façonnées en briquettes. Ce procédé ne nécessite ni formation, ni équipement spécialisé. "Ce n'est pas comme produire du charbon de bois local, qui peut prendre trois mois", déclare à l'AFP Simon Riak, qui supervise cette initiative financée par le Programme alimentaire mondial (PAM).
Le charbon de bois de la variété largement utilisée dans les pays en développement est produit en chauffant lentement le bois dans des fours en terre. Mais ce processus nécessite de grandes quantités de bois, facteur majeur de déforestation. Le bois est rare et difficile à atteindre, les arbres pourrissant et s'effondrant dans les hautes eaux.
Les prix du charbon de bois ont doublé en seulement un an à Bentiu, selon Simon Riak, mettant à rude épreuve la population locale, déjà éprouvée par des difficultés à se procurer des produits de première nécessité. À terme, les briquettes de jacinthe pourraient se vendre moitié moins cher que le charbon de bois et fournir un revenu aux petits producteurs. Environ 300 personnes, principalement des femmes, produisent des briquettes.
Face au scepticisme, des démonstrations sont organisées en public. Des vendeurs de thé et des restaurateurs en bordure de la route ont été invités à tester l'efficacité des briquettes. "C'est une surprise pour la plupart des gens. Ils ne savent pas que la jacinthe d'eau peut être utilisée comme cela", dit Simon Riak. Quand la communauté voit que cela permet de "faire cuire le thé ou cuisiner, elle est très contente", poursuit-il.
Les experts estiment que les inondations autour de Bentiu pourraient prendre des années, voire des décennies, avant de se résorber. "J'en ai parlé à mes voisins. Ils sont prêts à voir comment c'est fait et comment nous l'utilisons", assure Roda Nyawuy. "Ceux d'entre nous qui apprendront à fabriquer ces briquettes auront un avantage", conclut-elle.