En prenant par les armes ce bastion rebelle, les soldats ont également tué, kidnappé et violé: c'était en 2015, et Nyakol pouvait s'estimer heureuse d'être en vie. Mais la jeune fille a contracté un paludisme cérébral lorsqu'elle se cachait dans les marais.
La maladie a été soignée trop tard et son cerveau a été endommagé au point qu'elle ne peut désormais plus se déplacer, manger ou communiquer sans aide. C'est uniquement grâce à sa mère, Nyaduol, qu'elle a survécu aux multiples fuites qui ont rythmé sa vie ces trois dernières années.
En février, c'est au village de Touch Riak, en territoire rebelle, à une quinzaine de kilomètres de Leer, qu'elles ont trouvé refuge, épuisées et affamées, après avoir fui une énième fois les combats.
Entre la faim et la maladie, Nyakol souffre de malnutrition sévère. Le moindre os de cette jeune femme de 18 ans est désormais visible sous la peau flasque de son corps famélique et son poids est celui d'un enfant de deux ans.
Epicentre
Depuis son déclenchement en décembre 2013, la guerre civile qui ravage le Soudan du Sud oppose principalement les forces fidèles au président Salva Kiir à celles du rebelle et ancien vice-président Riek Machar.
Mais ce sont les civils qui ont payé le plus lourd tribut, avec plus de 4 millions de déplacés et de multiples atrocités à caractère ethnique - viols, meurtres, tortures - commises par les différents groupes armés, et une crise humanitaire catastrophique.
La région de Leer a été l'épicentre de cette crise humanitaire. Ancien fief de M. Machar et de son ethnie Nuer, la ville est aux mains des forces gouvernementales. La majeure partie de sa population a fui dans des villages des marais alentour.
"Touch Riak est toujours sous le contrôle de l'opposition et le village devient une île pendant la saison des pluies, c'est pour cela que nous nous sentons en sécurité ici", explique Nyaduol, assise aux côtés de sa fille étendue sur une natte poussiéreuse, sous une toile tendue faisant office de clinique.
Déplacements difficiles
La région est par ailleurs abandonnée depuis 2015 par les organisations humanitaires étrangères à la suite de plusieurs attaques et pillages menés sur leurs installations et contre leurs travailleurs. Seules deux ONG sud-soudanaises y sont encore présentes, alors que le Programme alimentaire mondial (PAM) jette des sacs de nourriture depuis les airs.
"La situation est tendue et il est difficile de se déplacer", regrette Gatkan David Jal, travaillant pour une de ces deux ONG. Il évoque notamment les barrages routiers dressés par les soldats, qui dépouillent régulièrement ceux qui souhaitent passer.
Pour les éviter, M. Jal choisit souvent de se déplacer en hélicoptère, une solution très onéreuse.
Une importante aide humanitaire avait été dépêchée à Leer après que la famine avait été déclarée dans la région en 2017. Ces contributions avaient permis de déclarer la fin de la famine quatre mois plus tard. Mais la faim reste bien présente.
"Il faut transporter la nourriture aux endroits où se trouvent la faim et les gens qui sont affamés, et ce avant qu'ils ne soient isolés en raison de la saison des pluies", qui doit commencer dans quelques semaines et rendra les pistes impraticables, remarque Adnan Khan, du PAM. "La situation va devenir vraiment sinistre".
Fin de la fuite
Sur le sol de la clinique improvisée de Touch Riak, Makuil Puok, 25 ans, se tord de douleur. "J'ai essayé de traverser la ligne de front pour venir à Touch Riak, mais un soldat m'a tiré dessus", raconte-t-il. Sa blessure à la fesse a été nettoyée par le personnel de la clinique, qui n'est toutefois pas parvenu à retirer la balle.
Sa volonté est toutefois intacte. Si les combats atteignent Touch Riak, il fuira en canoë à travers les marais, assure-t-il.
Pour Nyakol et sa mère, plus question de fuir. "Ma fille a failli mourir quand nous sommes venus à Touch Riak, elle est très faible". "J'espère que nous serons plus en sécurité quand nous serons isolés par l'eau", dit-elle.
En attendant, Nyaduol tente par tous les moyens de stocker de la nourriture, soit en fourrageant dans les marais, soit en conservant le peu d'aide humanitaire qui arrive au village. Car l'isolement implique aussi un manque de nourriture, et une mort lente.
"Avant que la saison des pluies ne débute, nous devons nous assurer que nous avons assez de nourriture pour survivre".
Avec AFP