Adama Assan a du mal à respirer, elle garde la bouche constamment ouverte pour aspirer un peu plus d'air. Des mouches tournoient au-dessus de son corps famélique dans l'unité d'un hôpital de N'Djamena qui tente de sauver des bébés de la malnutrition.
A 4 mois, elle ne pèse que 3,3 kg. Elle est suivie de très près depuis plusieurs jours dans la capitale tchadienne par l'ONG africaine Alima, qui s'occupe ici des enfants de moins de cinq ans dans un état de malnutrition aiguë sévère.
Adama est intubée par le nez. "Elle est en détresse respiratoire", explique Ousmane Ahmat Mahamat, l'infirmier superviseur. "Normalement, un bébé de son âge devrait peser autour de 6 kg", ajoute-t-il d'un air attristé.
Le nourrisson est soigné en réanimation, où médecins et infirmiers se relaient en permanence à son chevet. "Cela fait quatre jours que je la veille", soupire sa mère Zara Issa, 18 ans, assise à côté de son lit.
Dans la même pièce, Alkhatir Djimiet, 10 mois, est également intubé. Les bras rachitiques et les côtes apparentes, il ne pèse que 4,5 kg, contre 7 à 8 pour un enfant en bonne santé de son âge. "Son pronostic vital est engagé, il est dans un quasi-coma", lâche M. Ahmat Mahamat en reposant son dossier.
Aide d'urgence
Le Tchad, un Etat d'environ 15 millions d'habitants enclavé au coeur de l'Afrique, est le troisième pays le moins développé au monde, selon l'ONU, qui y estime à 5,5 millions - un tiers de la population - le nombre de personnes ayant besoin d'une "aide humanitaire d'urgence".
Il figure aussi au troisième rang mondial pour la mortalité infantile (110 pour mille) selon la Banque mondiale, derrière le Nigeria et la Somalie: un enfant sur 10 au moins n'atteint pas l'âge de 5 ans. Et le Programme alimentaire mondial (PAM) de l'ONU s'est alarmé le 18 février de l'aggravation de la situation alimentaire dans le Sahel. Or cette bande au climat semi-aride couvre un tiers du Tchad, le tiers nord étant occupé par le Sahara.
Alima (Alliance for International Medical Action), dont le siège est à Dakar, travaille à N'Djamena en collaboration avec l'ONG tchadienne Alerte Santé. "Plusieurs centaines de milliers d'enfants âgés entre 6 et 59 mois sont en situation de malnutrition sévère aigüe", la forme la plus critique, estime Alima. A ce stade, le corps commence à consommer ses propres tissus pour y puiser de l'énergie, faisant ainsi fondre les muscles. Sans prise en charge, elle peut entraîner la mort.
L’Unité Nutritionnelle Thérapeutique (UNT) est hébergée par l'Hôpital de l'amitié Tchad-Chine de N'Djamena. "Nous accueillons 27 enfants, c'est 10 de plus qu'à la même période l'année dernière, nous nous attendons à une situation catastrophique", s'alarme Ousmane Ahmat Mahamat.
Moyens du bord
Depuis le début de l'année, 118 enfants ont été accueillis dans le centre. Ils y restent entre 5 et 7 jours, avec des taux de survie d'environ 94%. Mais pour combien d'autres qui n'ont pas la chance d'y être admis, loin de N'Djamena...
Haoua Abdoulaye, drapée dans un long voile bigarré, porte son enfant, complètement amorphe. A 6 mois, il ne pèse que 6 kg. "Je n'ai pas d'argent pour le nourrir", se lamente la vendeuse sur les marchés. "J'ai déjà perdu un premier enfant à cause de la malnutrition, mais je n'ai pas les moyens de lui donner autre chose que le sein", soupire Haoua. La sage-femme Clarisse Bakadah Allaïra explique que le lait de la jeune mère de 25 ans, elle même mal nourrie, ne suffit pas.
Au Tchad, 42% de la population vit sous le seuil de pauvreté, selon l'ONU. "Les prix des denrées de base ont fortement augmenté récemment et certaines familles sont incapables de les acheter", déplore Clarisse, également assistante nutritionnelle pour Alima.
"L'année dernière, le kilo de haricots -un des plats de base - valait 1.000 francs CFA (1,5 euro), contre 1.500 aujourd'hui, et c'est pareil pour l'huile", détaille la sage-femme. Certaines familles, complètement démunies, achètent des médicaments contrefaits sur les marchés pour soigner leurs enfants, ce qui aggrave leur état, selon elle.
L'UNT manque aussi cruellement de Plumpy'Nut, cette pâte énergétique à base d'arachide pour la renutrition des enfants, fournie par les bailleurs internationaux.
"Nous ne refusons jamais les enfants qui nous sont envoyés, mais nous faisons avec les moyens du bord", assure Ousmane Ahmat Mahamat, qui se souvient de lits accueillant jusqu'à trois enfants au pic des admissions en 2019.