La dernière fois que les Tchadiens ont voté pour élire leurs députés remonte à 2011. Depuis, l'Assemblée nationale, largement dominée par la majorité présidentielle, est restée la même. Pour justifier les reports successifs du scrutin, M. Déby, au pouvoir depuis près de 30 ans après un coup d'Etat en 1990, a invoqué la menace terroriste de Boko Haram - le groupe djihadiste nigérian qui multiplie les attaques meurtrières dans l'ouest depuis 2015 - et des difficultés financières.
Mais depuis deux ans, les bailleurs de fonds occidentaux et soutiens du Tchad, un pays stratégique en Afrique dans la lutte contre la menace des islamistes armés au Sahel, font pression sur le chef de l'Etat, Washington et Paris en tête.
Début juillet, M. Déby l'avait assuré: les élections se tiendront, "au pire, en décembre". Mais, à moins de quatre mois de cette échéance, aucune date n'est fixée.
Mercredi, le ministre des Affaires étrangères, Chérif Mahamat Zene, a assuré, devant le corps diplomatique à N'Djamena, que le gouvernement mettait tout en oeuvre pour respecter ce délai et a appelé ses partenaires à un "appui conséquent et multiforme" pour l'organisation des élections.
- "Impossible" d'ici à décembre -
L'opposition, elle, n'y croit pas: "le recensement biométrique n'a pas commencé, les listes électorales n'ont pas encore été publiées", affirme Mahamat Ahmat Alabo, secrétaire général du Parti pour les libertés et le développement (PLD), dans l'opposition. "Objectivement, il est impossible d'organiser des élections en 2019".
"Le dernier recensement électoral remonte à 2015, les listes vont-elles être actualisées ?", s'interroge la chercheuse française spécialiste du Tchad, Marielle Debos. "Combien cela coûtera-t-il ? Comment le Tchad va-t-il financer les élections ? Il y a encore beaucoup de flou".
La société civile s'inquiète aussi, au moment où M. Déby a décrété fin août un état d'urgence dans l'Est, théâtre d'affrontements meurtriers entre cultivateurs et éleveurs, et dans le nord, repaire de groupes rebelles et d'orpailleurs illégaux.
"L'Etat sait qu'organiser des élections dans le contexte actuel, où l'état d'urgence dans certaines provinces impose une restriction des libertés publiques, est pratiquement impossible", estime le défenseur tchadien des droits de l'homme Jean-Bosco Manga. "Voter, c'est s'exprimer librement et pour cela, il faut que l'environnement et le contexte s'y prêtent", ajoute le fondateur du Mouvement citoyen pour la préservation des libertés (MCPL).
"La crainte légitime de l'interdiction des réunions publiques sera traitée avec toute l'attention requise" par le gouvernement, a déclaré mercredi le ministre Mahamat Zene, promettant "des conditions optimales de sécurité et de transparence pour (...) que les candidats puissent battre campagne en toute liberté et en toute sécurité".
- Un possible contre-pouvoir ?
Selon certains observateurs, les réticences du pouvoir à organiser jusqu'ici ces élections, ne s'expliquent pas par la peur de les perdre - le Mouvement Patriotique du Salut (MPS), le parti au pouvoir, dispose d'un ancrage territorial très fort dans tout le pays et l'opposition reste profondément divisée.
En outre, "l'Assemblée nationale n'a jamais été un vrai contre-pouvoir au Tchad", relève Mme Debos. "Et depuis l'adoption d'une IVe République en 2018, qui a renforcé les pouvoirs du président, elle dispose d'un poids encore moins important", ajoute-t-elle
Pour Thibaud Lesueur, chercheur au centre d'analyse géopolitique International Crisis Group (ICG), "la question n'est pas tant de savoir quels peuvent être les résultats de ces élections mais plutôt si tous les partis seront en mesure de faire campagne, si les rassemblements seront autorisés et si cette séquence politique va entraîner une mobilisation de la société civile tchadienne plus largement".
D'autant plus que le scrutin ne semble pas passionner.
Dans les petits restaurants de N'Djamena, les clients préfèrent pester contre la vie chère, le manque de routes, d'hôpitaux ou d'écoles dans ce pays classé parmi les plus pauvres du monde.
"Les députés ne font rien pour aider les populations à réduire leur souffrance", s'énerve Abdelkerim Harba Ousma, 69 ans. Les élections ? "Elles n'ont pas la valeur des chaussures que je porte", rétorque cet homme pointant du doigt ses simples claquettes.
Avec AFP