"Les Ballets africains représentent la plus grande institution culturelle, pas de la Guinée seulement, mais comme leur nom l'indique, de toute l'Afrique" dont ils ont fait "la fierté sur toutes les scènes du monde", résume Jean Baptiste Williams dit Jeannot, ex-journaliste devenu directeur national de la Culture en Guinée.
La troupe a été créée au début des années 1950 à Paris par trois amis: le poète guinéen Fodéba Keïta, son compatriote guitariste Facelli Kanté et le chanteur camerounais Albert Mouangue.
En 1958, elle a été mise à la disposition de la Guinée - nouvellement indépendante de la France - sous la présidence d'Ahmed Sékou Touré, père de la "Révolution". Ce féru de culture, proche du bloc socialiste, a dirigé le pays d'une poigne de fer jusqu'à sa mort en 1984.
Pendant cette période, les pensionnaires des "Ballets africains de la République de Guinée" - leur nom officiel - étaient des fonctionnaires, racontent à l'AFP certains d'entre eux, dont le directeur artistique, Hamidou Bangoura, 74 ans.
"Jusqu'à la mort du président Touré, on se considérait comme les enfants choyés de la Révolution", affirme Bangoura, qui a intégré le collectif en 1960 en tant que danseur et acrobate.
- Tournées de plusieurs mois à l'étranger -
La troupe était l'un des visages de l'Afrique décolonisée. Et quand les Ballets se produisaient en Guinée, "le monde venait !", se souvient-il.
Avec l'appui de Sékou Touré, "toutes les portes nous étaient ouvertes" dans le pays, se souvient Sékou 2 Condé, membre des Ballets depuis 1967.
Les tournées à l'étranger duraient plusieurs mois, jusqu'à un an, voire plus et ont permis aux membres des Ballets de faire le tour du monde.
Selon Bangoura, les Etats-Unis "étaient (leur) plus grand marché", la troupe y allait chaque année "pour deux ou trois mois", nouant des liens avec des célébrités comme l'acteur Sydney Poitier, le boxeur Mohamed Ali, les chanteurs James Brown, Harry Belafonte et la Sud-Africaine Myriam Makeba.
Les Ballets ont émerveillé avec leur musique - la troupe inclut des instrumentistes (balafon, kora, percussions, flûte...) - leurs costumes folkloriques ou majestueux, mais surtout leurs danses et acrobaties à l'énergie frénétique.
Des spectacles basés sur des entraînements et une discipline rigoureux mais que récompensaient applaudissements, distinctions et honneurs récoltés à l'étranger, selon les artistes.
Outre les lauriers, les prestations des Ballets rapportaient aussi des espèces sonnantes et trébuchantes, contribuant au budget de l'Etat guinéen, en froid avec la France et qui rencontrait des difficultés financières.
Leurs cachets ont servi "à payer les fonctionnaires sous la première République (1958-1984)", explique Mariama Touré, danseuse des Ballets depuis 1976. "Nous avons habillé nos militaires, acheté des instruments pour nos artistes", équipé les footballeurs...
Mais les choses ont commencé à changer avec le successeur de Sékou Touré, le militaire Lansana Conté (1984-2008), moins sensible aux arts que le père de l'indépendance, et qui a mené une politique de réduction des coûts et de privatisations encouragée par le FMI.
Au fil des ans, les membres des Ballets ont perdu leur statut de fonctionnaires et leur accès privilégié aux cercles du pouvoir. Les longues tournées se sont réduites - la dernière prestation à l'étranger remonte à 2010, en Chine, selon Sékou 2 Condé. Les spectacles se sont fait rares, les membres ont vieilli.
- 'Aucun soutien aujourd'hui' -
Les plus anciens ont largement dépassé l'âge de la retraite, mais restent au sein de la troupe pour encadrer des jeunes qui la rejoignent bénévolement, sans aucune aide de l'Etat.
"Nous n'avons plus de soutien aujourd'hui. Cela me rend triste", lâche Mariama Touré.
Tous les artistes de la troupe s'astreignent néanmoins à s'entraîner régulièrement: "Nous répétons tous les jours du lundi au jeudi", dit la danseuse.
Les séances ont lieu au siège de l'Assemblée nationale, les Ballets n'ayant pas de local propre - ils sont donc tributaires des manifestations officielles, politiques ou sociales régulièrement organisées sur le site et du bon vouloir de ses techniciens.
Au ministère de la Culture, on affirme être conscient de la situation, assurant qu'elle sera prise en compte dans le cadre d'un plan global "pour la relance des ensembles artistiques nationaux".
L'objectif est de faire en sorte "que les artistes aient d'abord un statut mais aussi" de reconquérir le marché perdu du spectacle au plan international, déclare le secrétaire général du ministère, Fodéba Isto Keïra. "Et pour cela, il faut penser à rajeunir l'effectif et le personnel d'encadrement", dit-il.
Pour Hamidou Bangoura, il est urgent d'aller vite car les jeunes risquent de se lasser, faute de perspective, dit-il. "C'est ma plus grande inquiétude aujourd'hui".
Avec AFP