La petite Kaka-Hauwa Aji, 4 ans, hurle de douleur alors que deux infirmières, vêtues de longs hijabs blancs, tentent de désinfecter la plaie béante de son cou: l'enfant fait partie des survivants du bombardement sur le camp de déplacés de Rann, rapatriés en urgence dans la grande ville de Maiduguri.
Sa grande soeur de 7 ans, Ya-zahra Aji, est allongée sur le lit d'en face. Sa main droite est recouverte d'un large bandage: un morceau d'une bombe larguée par erreur par l'armée de l'air nigériane s'est plantée dans son corps.
Mardi matin, c'était le moment de la distribution alimentaire dans le camp de déplacés de Rann, dans le nord-est du Nigeria, région dévastée après 7 ans de conflit contre Boko Haram.
La mère des deux petites filles a dû les laisser, elles et leurs six frères et soeurs, dans la tente familiale, pendant qu'elle allait chercher de la nourriture.
Quelques instants plus tard, les bombes s'abattaient sur le camp, où se sont réfugiées près de 40.000 personnes. Le bilan, qui devrait encore s'alourdir selon les services de secours sur place, est dramatique: au moins 70 morts, dont des travailleurs humanitaires, et une centaine de blessés.
"On a entendu le rugissement d'un avion de combat dans les airs, et après, une énorme explosion. On s'est tous mis à courir, car il était clair que le camp était attaqué", rapporte Fati Yasin, leur mère.
La jeune femme s'est tout de suite dirigée vers sa tente, où elle a trouvé ses deux petites filles blessées et leurs frères et soeurs en pleurs à leurs côtés, sous le choc.
Dans cette chambre de l'hôpital de l'Etat de Borno, à Maiduguri, géré par le Comité International de la Croix Rouge (CICR), les sept lits sont occupés par des victimes de ce bombardement "regrettable", comme l'a ensuite qualifié le président Muhammadu Buhari en exprimant ses condoléances.
Dans un lit, un bébé de 7 mois est allongé, anesthésié par la douleur ou par les médicaments. Les médecins viennent de lui retirer des morceaux de métal du cou et du pied.
Sa mère, Ngwari Mustapha raconte qu'elle portait son fils sur son dos, lorsque la première attaque a eu lieu.
"Mon autre enfant a été blessé aux deux jambes", raconte-t-elle en arabe shuwa, langue parlée dans les régions les plus reculées de l'Etat du Borno, à la frontière avec le Cameroun et le Tchad.
"Je pleure parce que mes enfants n'ont pas été blessés par Boko Haram, mais par l'armée. L'armée était censée nous protéger de Boko Haram".
Deux raids
L'armée nigériane a exprimé ses regrets. L'envoyé spécial du président à Maiduguri a regretté cet événement "très malheureux", ajoutant que ces "incidents de tirs amis sont aussi vieux que l'histoire de l'humanité".
Des combattants de Boko Haram avaient été aperçus non loin de là, dans le district de Kala-Balge, où se trouve Rann. Le camp de déplacés, où s'abritent des dizaines de milliers de personnes, a vraisemblablement été confondu avec un camp d'entraînement des jihadistes.
Boko Haram a fait plus de 20.000 morts, depuis 2009. La guerre a contraint 2,6 millions de personnes à fuir leur foyer, dans des conditions d'extrême pauvreté dans des régions très reculées, et souvent inaccessibles car encore trop dangereuses.
Médecins sans Frontières (MSF) ne se rendait à Rann que depuis samedi dernier. L'ONG conduisait des campagnes de vaccination pour les enfants et des programme de réalimentation, dans une région dévastée qui souffre d'un manque alarmant de nourriture.
Trois ressortissants Camerounais, employés indirectement par MSF pour installer les infrastructures sanitaires, ont été tués. Le CICR a également perdu six membres.
Babagana Mohammed fait partie des 11 employés de la Croix Rouge qui ont été blessés dans cette attaque. Sa jambe, son bras et son épaule sont cassés.
"Beaucoup de gens sont morts brûlés. Beaucoup d'autres ont été blessés", raconte-t-il depuis son lit d'hôpital.
"L'avion a mené un second raid, et a tué encore plus de personnes."
Mercredi soir, près de deux jours après le bombardement, 74 personnes avaient pu être évacuées à Maiduguri, selon le CICR.
Selon le chirurgien Baba Shehu Mohamed, beaucoup souffrent de membres brisés ou de blessures à l'abdomen. Sept ont subi des interventions particulièrement lourdes.
Le CICR a installé dans l'urgence 50 lits supplémentaires pour accueillir les blessés. Ils devraient bientôt être remplis, alors que les hélicoptères humanitaires et de l'armée ne cessent de ramener de nouvelles victimes.
Avec AFP