Son nom de scène déjà sonne comme une provocation. Il rappelle celui du mercenaire français Bob Denard (mort en 2007), tristement célèbre pour avoir participé à plusieurs coups d'Etat dans l'Afrique post-coloniale. Simple jeu de mot entre son surnom d'ado, "Bop" et le mot "narration" qui évoque le slam, explique, faussement naïf, le jeune Ivoirien de 24 ans.
Dans son dernier hit "C'est payant", il nomme une série de femmes "actrices" (des mannequins, d'anciennes "Miss", etc) dont la rumeur publique dit que les carrières sont liées à leurs fréquentations d'hommes importants.
Extrait: "Nous tous on sait que c'est payant, Je ne fais que dire la vérité, Lui qui veut m'insulter, je vais lui dire: Tu es bête comme une boîte de nuit qui n'ouvre pas samedi".
Dans "Vilain", sorti en 2017, c'était cette fois des hommes riches, notamment des footballeurs célèbres, qui en prenaient pour leur grade. "Argent, voiture, maison, est-ce que femme peut te dire que tu es vilain ? Elle va faire du sérieux avec toi, même si ta tête ressemble à concert de comédie".
Une façon d'exprimer la frustration des jeunes Ivoiriens, sans travail à cause du chômage de masse, sans argent, et qui peinent à fonder un foyer.
"Je décris mon environnement, je chante ce qu'il y a autour de moi. Le sexe, l'argent... Ici, tout est basé sur l'argent, le m'as-tu-vu, le bling-bling ! Je dénonce, je critique", explique Bop de Narr, sans se définir comme un artiste engagé.
"Mes armes, c'est les punchlines"
"Bop de Narr est unique", juge le manager et producteur Ickx Fontaine, "vieux père" du hip hop ivoirien. "Son style, son écriture sont particuliers, il utilise beaucoup la dérision pour la critique sociale", dans "une société ivoirienne qui connaît un haut niveau de corruption et de pauvreté".
Encore du sexe dans "Comment on soigne ça", qui s'attaque au thème de l'infidélité conjugale, ou pourquoi l'argent ne suffit pas pour faire un couple, sans l'amour. "Tu n'es pas là, madame a froid, le voisin est prêt à devenir pullover", chante Bop, scandant ses tirades d'une voix nasillarde, teigneuse, immédiatement reconnaissable.
Le rappeur manie à merveille le nouchi, l'argot ivoirien, jouant avec les mots pour créer des formules appelées à devenir des expressions courantes de la rue.
"Bop de Narr prend des risques. C'est un artiste hybride, il réussit à faire des morceaux à la fois festifs et dénonciateurs. C'est le seul, sur la scène ivoirienne", estime Ozone, animateur d'une émission télévisée de hip hop, un genre musical qui reste toutefois minoritaire dans un pays acquis au "coupé-décalé", rythme endiablé et utilisant souvent des sons électroniques.
Quant au rap et au hip hop en Côte d'Ivoire, d'abord assez festifs, ils ont évolué vers des textes plus durs depuis une dizaine d'années, portés par la génération qui a connu la crise - la longue décennie de crise politico-militaire des années 2000 doublée d'une stagnation économique -, décrypte Ickx Fontaine. "La dérision est un exutoire pour supporter une vie difficile."
"Mes armes, c'est les punchlines. Mon public me voit comme courageux", lance Bop, qui s'autoproduit, après une expérience décevante avec un label.
Il gagne sa vie avec ses concerts, notamment en boites de nuit, et espère signer avec un label international et "évoluer sous d'autres cieux où il y a une vraie industrie musicale".
Avec AFP