L'ex-capitaine de l'armée est coutumier des dérapages verbaux contre les Noirs, les femmes ou les homosexuels, mais ce sont les autochtones qui se sentent le plus menacés.
"Aujourd'hui, beaucoup de gens ont peur", explique à l'AFP Luiz Eloy Terena, conseiller juridique de l'association des Peuples indiens du Brésil (APIB).
Sa plus grande préoccupation: le fait que le président élu ait affirmé à plusieurs reprises, avant et après le scrutin, qu'il ne cèderait "pas un centimètre de plus" pour la démarcation de territoires réservés aux Indiens.
D'après la Fondation Nationale de l'Indien (Funai), organisme public sous tutelle du ministère de la Justice, plus de 800.000 Indiens de 300 tribus vivent actuellement au Brésil, la plupart dans la région amazonienne, dans le nord du pays.
Beaucoup d'entre eux se battent pour préserver leur mode de vie, menacé depuis l'arrivée des colonisateurs européens, il y a plus de 500 ans.
Leurs terres ancestrales sont régulièrement grignotées par l'appétit vorace de l'agrobusiness, des compagnies minières et de l'industrie du bois.
Des secteurs influents qui ont soutenu activement Bolsonaro tout au long de sa campagne.
- "Intégration" controversée -
"Les Indiens ont raison d'être inquiets. Bolsonaro s'est toujours opposé à la démarcation et à la reconnaissance des territoires indiens", rappelle Fiona Watson, directrice de recherche de l'ONG Survival International.
Les territoires délimités sont de véritables sanctuaires, dont l'entrée pour de non-Indiens est réglementée et dont l'exploitation des ressources naturelles est interdite à toute personne ou entreprise venue de l'extérieur.
La démarcation a débuté dans les années 80, mais a toujours tourné au ralenti, même sous le gouvernement de gauche de Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2010).
Le droit à la terre des Indiens est inscrit dans la Constitution brésilienne, mais certaines déclarations récentes semblent indiquer que le président élu ne l'entend pas de cette oreille.
Dans une vidéo filmée en janvier 2016, en plein hémicycle de la Chambre des députés, Jair Bolsonaro, qui siège au Parlement depuis 1991, a délivré un message peu rassurant pour les habitants de la réserve de Raposa Serra do Sol, dans l'Etat de Roraima (nord).
"En 2019, nous allons annuler la démarcation de cette réserve et nous allons donner des fusils aux fermiers", s'est-il écrié.
"Certaines personnes pensent qu'il ne s'agit que de menaces, mais je suis sûr qu'il a vraiment l'intention de le faire. Il est vraiment anti-indiens, il veut les 'intégrer'", s'insurge Fiona Watson.
Cette politique d'"intégration" menée sous la dictature militaire (1964-1985) -- souvent louée par Bolsonaro --, consiste à retirer les autochtones de leurs terres ancestrales pour qu'ils soient assimilés à la société moderne, quitte à vivre en ville.
- "Comme dans un zoo" -
La veille de l'élection de Bolsonaro, le Conseil des Indiens de Roraima a appelé sur son site les électeurs à "ne pas laisser le discours de haine, d'intolérance et d'injustice prévaloir". Peine perdue.
Une semaine après son élection, Jair Bolsonaro a réitéré que les territoires réservés aux autochtones étaient "surdimensionnés".
"Les Indiens ne peuvent pas être confinés dans une réserve, comme un animal dans un zoo", a ajouté le président élu d'extrême droite.
"Ce sont des êtres humains comme nous, qui veulent entreprendre, avoir de l'électricité, aller chez le médecin, avoir une voiture et prendre l'avion", a-t-il poursuivi, sans prendre en compte le fait que de nombreuses tribus tiennent à conserver leur mode de vie traditionnel.
La Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIDH) a pointé du doigt l'impuissance de la Funai, qui ne dispose pas de fonds nécessaires pour défendre les Indiens face aux grands groupes financiers qui lorgnent sur leurs terres.
"L'une de leurs méthodes consiste à affaiblir la Funai. Avec une Funai faible, la communauté autochtone est vulnérable", dit Luiz Eloy Terena.
Même si le nouveau paysage politique qui se dessine semble très défavorable aux Indiens du Brésil, Fiona Watson garde l'espoir. "Ils vont se battre, c'est sûr."
Avec AFP