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Brûler la forêt pour survivre : l'impossible équation des paysans de Madagascar


Une avenue bondée de monde aux heures de pointe dans la capitale malgache, Antananirivo, 12 février 2015.
Une avenue bondée de monde aux heures de pointe dans la capitale malgache, Antananirivo, 12 février 2015.

"La dernière fois, j'ai brûlé une surface à peu près de cette taille". Dans son hameau au sud de Madagascar, Mihareta Laivao montre la parcelle de forêt, l'équivalent d'un terrain de football, qu'il reconnaît avoir détruite pour cultiver ses plantations.

"Je ne possède pas de terrain dans la vallée, alors je suis obligé de déboiser", explique ce père de famille de 41 ans, tête baissée. "Je n'ai pas le choix, sans ça je ne peux pas survivre".

A la lisière du parc national du même nom classé au patrimoine mondial de l'Unesco, la population de Ranomafana vit quasi-exclusivement de l'agriculture de subsistance.

Sur une piste défoncée, de longs panaches de fumée blanche viennent voiler le ciel bleu. C'est le résultat du "tavy", la culture sur brûlis qui détruit la forêt primaire de cette région reculée de la Grande Ile.

Au milieu de la campagne pelée par des décennies de "tavy", seules quelques crêtes montagneuses encore verdoyantes et arborées témoignent du luxuriant passé de la région.

"Il y a dix ans, il y avait encore des forêts sur la moitié des flancs de montagne. Aujourd'hui, il n'y a presque plus rien", déplore Jean Doine Raifetra, le maire de la commune de Ranomafana, qui regroupe 22.000 habitants éparpillés sur plusieurs hameaux.

Aujourd'hui, les paysans subissent de plein fouet les conséquences de leurs pratiques. Avec la déforestation, les cours d'eau des montagnes sont à sec et ne peuvent plus irriguer suffisamment les cultures des plaines, poussant les villageois à déboiser encore davantage pour trouver des terres fertiles.

Du haut de la colline qui surplombe son village, Jean Realy montre sa rizière asséchée en contrebas. Habituellement, il parvient à produire 8 ou 9 sacs de riz par an. Mais cette année, il risque la saison blanche.

"A cause de la déforestation, la source s'est tarie. Dans les années 80, en septembre on avait encore de l'eau jusqu'à hauteur de hanche", déplore t-il les deux pieds bien au sec dans sa rizière.

Désormais, il compte sur les précipitations habituellement rares dans cette région pour éviter "la famine" tant redoutée.

Et avec son budget annuel de 100 ariary (3 centimes d'euros) par habitant, la commune de Ranomafana est bien incapable de mettre en place des projets de sauvegarde de l'environnement.

- Reboisement -

Plusieurs ONG, en partenariat avec l'Agence française de développement (AFD) notamment, pilotent cependant un programme de conservation des forêts dans la région (PHCF).

Lancé en 2008, ce projet de 4 millions d'euros a notamment permis de créer dans une vingtaine de villages du sud de la Grande Ile des "communautés de base" ("Coba") pour délimiter des centaines d'hectares de territoire où toute déforestation est rigoureusement interdite.

"Sans la forêt, ce sont toutes les facettes de la vie des agriculteurs qui vont disparaître", explique Matthieu Baehrel de l'ONG EtcTerra qui coordonne le programme.

"Si on ne protège pas les forêts en amont, la productivité agricole diminue en aval. Une fois que ce lien est fait dans la tête des gens, c'est plus facile d'agir là-dessus", plaide Hélène Gobert, chargée des projets développement rural et environnement à l'AFD à Madagascar.

Plusieurs projets accompagnent aussi les "Coba", à la fois pour proposer des alternatives agricoles et améliorer les conditions de vie grâce par exemple au reboisement.

La forêt, déjà victime des pratiques agricoles, est aussi une cible de choix pour les villageois qui exploitent le bois.

En quelques coups de machette, Mamonjy entretient le bosquet d'acacias et eucalyptus replanté dans son village en 2012.

"Grâce à ce reboisement, on ne va plus se servir dans la forêt pour notre charbon ou notre bois de construction", se félicite t-il.

"Un arbre, ça met du temps à pousser. Donc les effets ne sont pas visibles à court terme. On a besoin de projets qui durent longtemps pour espérer des changements de pratique", note Hélène Gobert.

"Le message commence à passer et on commence à en voir des effets. Mais ce sera long car on parle de changements de mentalités sur des pratiques parfois millénaires", ajoute Matthieu Baehrel.

Les défis demeurent titanesques à l'échelle de ce territoire presque grand comme la France, où plus de 9 Malgaches sur 10 vivent encore sous le seuil de pauvreté.

Avec AFP

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