Pour ce 40e anniversaire, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), créé par M. Biya en 1985, promet "une grande fête" pour célébrer "la stabilité politique et la paix : les plus grands succès des quatre dernières décennies au Cameroun", s'enthousiasme Hervé Emmanuel Nkom, membre du comité central du RDPC.
De nombreux rassemblements et meetings seront organisés dans le pays dimanche par les 360 sections du parti, dont un "méga meeting régional" à l'Hôtel de ville de Yaoundé, la capitale camerounaise. Mais le principal intéressé sera-t-il de la partie ? Aucune information n'a filtré pour le moment.
Dans le quartier Messa, des militants du RDPC s'activent déjà devant le QG du parti où des dizaines de casquettes, écharpes, chemises et tenues multicolores à l'effigie de Paul Biya sont vendues. Sur les grilles qui cernent le bâtiment, Sylvie Beyala, 42 ans, accroche des drapeaux sérigraphiés, flanqués d'une photographie du président tout sourire, et du slogan "unité, progrès, démocratie".
"Beaucoup de gens viennent nous voir, nous avons de nombreuses commandes", se réjouit cette militante du RDPC depuis 20 ans.
Une ambiance festive qui ne peut faire oublier que le Cameroun est confronté à de lourds défis. Sécuritaires d'abord, avec la lutte contre les jihadistes dans l'Extrême-Nord et surtout un conflit sanglant dans les deux régions anglophones du pays, à l'ouest, qui oppose l'armée à des groupes armés indépendantistes, les deux camps commettant crimes et atrocités, selon l'ONU et des ONG.
En outre, le Cameroun fait face à des défis économiques majeurs. La première puissance économique d'Afrique centrale compte plus de 8 millions de pauvres sur les quelque 25 millions d'habitants du pays et stagne depuis longtemps dans la tranche inférieure des pays à revenus intermédiaires.
Mais "la question essentielle n'est pas de savoir si le Cameroun va bien, ou pourrait aller mieux, mais plutôt de savoir comment va le président", observe avec dépit Stéphane Akoa, chercheur en sciences politiques.
Sur la scène nationale, les sorties publiques de M. Biya sont rarissimes, hormis quelques apparitions télévisées. Toutefois parler de sa succession est tabou, même pour les plus proches, personne n'ayant jamais osé sortir du bois ni esquissé, du moins publiquement, la moindre intention.
"Guerre des clans"
Malgré une santé chancelante, Paul Biya continue de donner le sentiment d'administrer seul le pays, s'appuyant sur un cénacle très restreint dont il nomme et bannit impitoyablement les membres à sa guise. Parmi les candidats putatifs à la succession, Franck Biya, le fils du président, ou Louis-Paul Motazé, le ministre des Finances, sont régulièrement cités. Le premier bénéficiant du soutien de différents groupes baptisés les "franckistes", ou "fébistes", qui aspirent à le voir remplacer son père.
Autre prétendant : le secrétaire général de la présidence (SGPR), Ferdinand Ngoh Ngoh, réputé proche de la très influente Première dame Chantal Biya, qui exerce de facto par délégation une bonne partie du pouvoir exécutif et a placé ses pions au sommet de l'administration.
"Il y a des personnes qui ont des stratégies personnelles, y compris dans nos rangs", concède Hervé Emmanuel Nkom, qui note qu'aucun des candidats cités n'a sa carte au RDPC et prévient que "le parti ne se laissera pas imposer un candidat qui n'est pas un militant".
Cette prétendue "guerre des clans" fait son lit dans la "précarité des mécanismes de dévolution du pouvoir en cas d'alternance", estime Aimée Raoul Sumo Tayo, chercheur en défense et sécurité. En cas d'empêchement du président, c'est le président du Sénat, Marcel Niat Njifenji, 88 ans, dont l'état de santé préoccupe au moins autant que celui de Paul Biya, qui assurerait l'intérim.
Dans ce contexte, "la probabilité d'une intervention de certaines franges de l'armée est plus que probable", assure M. Sumo Tayo, soulignant qu'un départ de Paul Biya "pourrait remettre en cause les positions de rentes que certains militaires occupent aujourd'hui".
Dans les rangs d'une opposition sévèrement réprimée ces dernières années, cet anniversaire est l'occasion de dresser un sombre bilan. "Nous sommes entrés sous Biya dans un cycle de régression et de corruption", a déclaré à l'AFP le député du Social démocratie Front (SDF), Jean Michel Nintcheu. L'opposant veut faire du 6 novembre un "jour de deuil" et a invité les Camerounais à se vêtir de noir pour l'occasion.