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Cameroun: dans le Sud-Ouest anglophone en conflit, "même les chiens n'errent plus"


Bâtiment endommagé par un incendie criminel de l'hôpital de district à Kumba, au Cameroun, le 12 février 2019. (M E Kindzeka / VOA)
Bâtiment endommagé par un incendie criminel de l'hôpital de district à Kumba, au Cameroun, le 12 février 2019. (M E Kindzeka / VOA)

"On est passé de l'euphorie des manifestations indépendantistes à la confusion": dans le centre-ville de Buea, capitale régionale du Sud-Ouest anglophone camerounais, ce fonctionnaire vit dans la peur, comme la plupart des habitants de la région.

Il craint les attaques des "Amba Boys", ces groupes armés, basés de façon éparse dans la forêt des régions anglophones du Cameroun, le Sud-Ouest et le Nord-Ouest, qui ont pris les armes fin 2017 pour réclamer leur indépendance.

Ils veulent leur propre Etat, l'"Ambazonie", dont la capitale serait Buea. Et pour ce faire, ils lancent des raids quasi quotidiens sur les symboles de l'Etat: gendarmerie, fonctionnaires, entreprises publiques.

Buea est l'une de leurs cibles préférées. Là, des coups de feu sont entendus chaque semaine et les patrouilles de l'armée en ville vues chaque jour.

Le fonctionnaire, qui veut rester anonyme, loge depuis cinq mois dans son bureau, dans le quartier administratif de la ville.

Son lit de camp est replié dans un coin du bureau, à côté d'une valise et de deux vestons sur leurs cintres, le long du mur. Non loin, une assiette-thermos garde quelques restes du repas de la veille. Il paraît résigné.

- Des nuits au bureau -

"Je passe des nuits au bureau pour éviter le parcours jusqu'à la maison. Des mouchards pourraient voir que je contourne l'interdiction des +Amba Boys+ de travailler pour le gouvernement", explique-t-il.

Depuis plusieurs jours, une vidéo circule entre les portables des habitants de Buea, et crée l'épouvante. On y voit une jeune trentenaire au teint clair être défigurée par des séparatistes après qu'elle eut reconnu être une informatrice de l'armée camerounaise.

A Molyko, quartier estudiantin de Buea, une vendeuse de crédit téléphonique ne peut s'empêcher de multiplier les onomatopées devant la scène qu'on lui montre sur un portable. Elle ne veut pas commenter.

"Personne d'ordinaire n'oserait contester!", continue le fonctionnaire. Les représailles, d'un côté comme de l'autre, sont récurrentes, selon les ONG.

Face à la dégradation du conflit, Yaoundé n'a répondu qu'en opérant un déploiement massif de forces de sécurité. Les deux camps sont accusés d'exactions sur les civils, pris entre deux feux.

Plus de 500 civils ont été tués depuis le début du conflit, selon le centre d'analyses International Crisis Group (ICG). Quelque 500.000 personnes ont fui leur domicile.

En février, une quinzaine d'"Amba Boys" sont entrés dans Buea, tirant en l'air et brûlant des voitures. Une tête décapitée a par la suite été découverte sur la chaussée; l'identité de la victime reste inconnue.

- "Pas les mêmes uniformes" -

La crise séparatiste a changé la paisible Buea, autrefois réputée pour son calme et sa fraîcheur, nichée sur les flancs du Mont Cameroun.

"Buea souffre", se lamente un animateur sur un programme populaire d'une radio locale.

Et surtout les petites entreprises, note un commerçant. Celles-ci sont contraintes de respecter les journées ville-morte imposées par les séparatistes tous les lundis, puis de façon continue depuis quinze jours, avec menace de représailles.

"Même les chiens n'errent plus", témoigne le commerçant.

Un seul choix est offert à ces populations martyres: partir, au risque de perdre leurs biens sur place.

A Limbe, ville portuaire à une vingtaine de minutes de route de Buea, où les carcasses de voitures brulées jonchent la chaussée, les déplacés du conflit se bousculent.

Dans un des lycées de la ville, on repère les élèves d'ici et d'ailleurs: ils n'ont pas les mêmes uniformes. "Ils viennent des villages d'à côté, (alors) on tolère", lâche un enseignant.

Au carrefour commerçant de cette cité balnéaire, une vendeuse s'inquiète du prix des vivres: les six mangues sont aujourd'hui à 1.000 francs CFA (environ 1,8 euro), bien plus cher que le prix de saison ordinaire.

Et ca va encore augmenter "parce qu'il y a peu de gens pour aller les cueillir", dit-elle.

Quand la nuit tombe sur Down Beach, l'agréable baie où touristes et habitants viennent se détendre en fin de journée, les poissons braisés continuent toutefois d'attirer les badauds.

Mais depuis plus d'un an maintenant, ils ont été rejoints par des ballets incessants de blindés des unités d'élite de l'armée.

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