Jamais une élection camerounaise n'avait pris place alors que l'armée est déployée dans trois des dix régions du pays : l'Extrême-Nord, où elle combat les jihadistes de Boko Haram, et les deux régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, où des séparatistes armés réclament l'indépendance.
Ceux-ci ont menacé d'empêcher le bon déroulement du scrutin dans ces régions quadrillées par les forces de l'ordre et de sécurité.
Yaoundé se veut rassurant: le scrutin aura lieu sur tout le territoire, a assuré le ministre de l'Administration territoriale mi-septembre, et ces conflits armés ne sont que des "troubles", selon Paul Biya.
Pourtant, le conflit contre les combattants séparatistes n'a cessé de prendre de l'ampleur depuis le début de la crise, fin 2016. À l'époque, des revendications corporatistes anglophones avaient mené à des manifestations et de nombreuses arrestations.
Larvée, cette crise d'abord socio-politique s'est peu à peu muée en un violent conflit armé opposant les troupes d'élite des forces de sécurité camerounaises à des séparatistes armés de plus en plus nombreux.
Multipliant les attaques contre les symboles de l'État, gendarmeries en tête, et les enlèvements de fonctionnaires, ces groupes ont forcé de nombreuses autorités locales à fuir leur administration dans certaines localités anglophones.
Réponse des autorités: certains bureaux de vote seront "délocalisés", a affirmé dans les médias Elecam, l'organe chargé d'organiser le vote.
"Large offre politique"
Le président-candidat Paul Biya, qui, pour la première fois depuis 2012, s'est rendu en province pour tenir un meeting pré-électoral, samedi à Maroua (nord), peut compter sur une myriade de soutiens pour faire campagne pour lui.
Ministres, cadres du parti au pouvoir, chefs traditionnels: comme par le passé, il a su mobiliser. Partout, des affiches à son effigie ont été postées et ses soutiens vont de plateau télévisé en plateau télévisé défendre son bilan.
Sa "vision pour le Cameroun", compilée dans un ouvrage en 1987, a de même été réédité début septembre.
Discret sinon, le président Biya a prôné à Maroua "à la fois fermeté et dialogue" dans les zones anglophones en crise.
Huit candidats espèrent renverser par les urnescelui qu'on appelle au Cameroun le "Sphinx". Et contrairement aux trois dernières élections pour lesquelles l'opposant de toujours, Ni John Fru Ndi, était le principal challenger, le scrutin semble en 2018 plus ouvert.
"C'est la première fois dans l'histoire du Cameroun qu'il y a des candidats d'opposition aussi démarqués, qui ont de vraies offres politiques chacune différente", estime Fred Eboko, politologue camerounais à l'Institut de recherche et développement (IRD).
Trois hommes se démarquent: Joshua Osih, qui a repris le flambeau de Fru Ndi et a été investi candidat du Social Democratic Front (SDF, principal parti d'opposition), Maurice Kamto, ancien ministre passé dans l'opposition qui bénéficie d'une forte assise territoriale, et Akere Muna, avocat célèbre qui dispose de bons relais à l'étranger.
Aucune coalition de l'opposition n'a été formée pour cette élection à un tour, chacun se disant sûr de ses chances d'être élu.
Comme en 2011, il semble néanmoins compliqué d'entrevoir une victoire d'un candidat de l'opposition. À l'époque, Biya avait été réélu avec 77,98% des suffrages, et Paris comme Washington avaient noté de "nombreuses irrégularités" lors du scrutin.
Les candidats d'opposition, l'Église catholique, et certains acteurs de la société civile ont annoncé qu'ils déploieraient des observateurs électoraux pour s'assurer qu'il n'y ait pas de fraude.
Dans ce pays où seuls 10% des actifs ont un emploi formel, un tiers des habitants vit avec moins de 2 euros par jour et 75% de la population n'a connu comme président que M. Biya, les défis du nouveau chef de l'État seront immenses.
Avec AFP