Ce dialogue, présidé à Yaoundé du 30 septembre au 4 octobre par le Premier ministre, Joseph Dion Ngute, a pour ambition de mettre un terme à la crise qui sévit dans les deux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, où vit la plus grande partie de la minorité anglophone du Cameroun (16%).
"Après avoir reçu des gens depuis deux semaines" en préparation de ce dialogue "je ne peux qu'être optimiste, car je pense que 99% des Camerounais veulent la paix", a déclaré le Premier ministre dimanche devant la presse.
Depuis trois ans, des revendications sociales des populations anglophones, qui s'estiment lésées par rapport aux huit autres régions francophones, se sont muées en un conflit meurtrier entre des groupes indépendantistes armés radicalisés et les forces de sécurité de l'Etat, resté sourd aux revendications.
Les affrontements, mais aussi les exactions et crimes commis par les deux camps contre les civils, ont fait quelque 3.000 morts depuis le début de la crise, en 2017, a indiqué l'International Crisis Group (ICG) dans un rapport publié jeudi.
Certains anglophones exigent le retour au fédéralisme alors que d'autres réclament la partition du pays. Deux hypothèses que refuse Yaoundé.
Après avoir fait preuve d'intransigeance depuis sa réélection en octobre 2018, le président Biya, 86 ans dont près de 36 au pouvoir, a convoqué mi-septembre un "grand dialogue national" à Yaoundé.
"Les séparatistes anglophones, qui dominent de vastes zones dans ces régions, n'y participeront pas" tout comme les principaux leaders installés à l'étranger, a précisé l'ICG.
Selon l'ONG, le dialogue, tel qu'envisagé, "risque d'exacerber la frustration des anglophones, de creuser encore plus le fossé qui sépare les deux camps et de renforcer les tenants d'une ligne dure".
Pourtant, d'après le porte-parole du dialogue national, Georges Ewane, les autorités ont eu des échanges avec certains séparatistes. Si elles ont décelé chez certains une disponibilité à discuter et chez d'autres moins d'ouverture, elles ont tenu à adresser des invitations à tous, selon M. Ewane.
- "Poudre aux yeux" -
Très actif sur les réseaux sociaux, Mark Bareta, partisan de la sécession, est présenté par Yaoundé comme celui qui a montré le plus d'ouverture. C'est d'ailleurs par son truchement que certaines invitations ont été adressées aux séparatistes, d'après M. Ewane.
Mais M. Bareta a annoncé vendredi ne pas participer à ce dialogue, affirmant que "la seule façon de mener de véritables négociations était de le faire sur un terrain neutre".
Parmi les seize leaders séparatistes anglophones conviés au dialogue, des éminents chefs de groupes armés, comme Ebenezer Akwanga et Cho Ayaba, ont annoncé leur refus d'y participer.
Avec ce dialogue, le Cameroun veut jeter "de la poudre aux yeux de la communauté internationale", a déclaré au téléphone à l'AFP M. Akwanga.
La plupart de ces leaders ont réaffirmé leur volonté de discuter avec le gouvernement, mais demandent que les négociations se déroulent en présence d'un médiateur international, à l'étranger et que les termes de la séparation soient le principal point à l'ordre du jour, selon l'ICG.
- Dialogue fantôme -
L'annonce de ce dialogue a toutefois suscité l'espoir d'anglophones plus modérés, comme l'influent archevêque de Douala, le cardinal Christian Tumi, qui avait salué l'initiative et supplié les séparatistes d'y participer.
L'option d'une participation des groupes armés actifs sur le terrain en zones anglophones "a été émise par des chefs traditionnels mais elle ne pourrait pas prospérer pour des raisons d'ordre pratique", explique une autorité du Sud-Ouest sous couvert de l'anonymat.
Elle invite pourtant les combattants séparatistes à sortir "des bois", et assure que "des mesures (ont été) prises pour la sécurité de ceux qui souhaitent y participer", avec notamment l'installation d'un site pour des communications à distance. "On ne dialogue pas avec des fantômes".