Dix ans après le caillassage du bus des joueurs algériens au Caire, la haine a-t-elle quitté les deux camps ? Dimanche lors de la demi-finale Algérie - Nigéria, le soutien ostentatoire de certains supporters égyptiens aux Super Eagles a déclenché quelques accrochages avec des Algériens.
"En termes de performance, ils méritent d'être en finale et de la gagner contrairement à notre propre équipe", concède Mohamed, alors que l'Egypte, pays-hôte, a été éliminée dès les huitièmes de finale.
"Mais j'espère qu'ils ne vont pas remporter la compétition", s'empresse d'ajouter ce comptable de 32 ans, en évoquant de vieilles "querelles".
L'origine de cette inimitié ? L'attaque du bus des joueurs algériens, faisant plusieurs blessés avant un match de qualification au Mondial-2010, qui avait dégénéré en violents affrontements entre supporters, puis en crise diplomatique.
A la suite de ces événements, qui se sont répétés à plusieurs reprises depuis, les appels aux calmes de part et d'autre n'ont pas empêché les accusations tous azimuts par voie de presse, convocations de diplomates et protestations formelles des deux pays.
- "Aucun problème sécuritaire" -
Depuis le début de la CAN-2019, la présence des forces de l'ordre s'est renforcée dans les rues et surtout autour des stades, dans un pays où l'enjeu sécuritaire restait le défi majeur de l'organisation de la compétition, notamment face à l'afflux progressif des supporters des "Fennecs".
"Jusqu'à présent, il n'y a ni problèmes, ni différends, ni crises d'ordre sécuritaire", assure un fonctionnaire du ministère de l'Intérieur qui a requis l'anonymat.
"Les célébrations (des supporters algériens) dans les rues se sont déroulées en présence d'Egyptiens sans mécontentement ou problème", a-t-il assuré.
Car, en dépit des anciennes tensions footballistiques entre les deux pays, de nombreux Egyptiens se tiennent derrière les Algériens, dans les stades ou dans les rues, au nom de l'unité arabe.
"Je vais les supporter car nous sommes tous arabes mais en temps normal je ne les soutiens pas vraiment après ce qu'il s'est passé", confie sans grand engouement Ali, un étudiant de 23 ans.
"A l'époque j'avais 13 ans. Je m'en souviens à peine, beaucoup de choses se sont passées", raconte ce fan du club d'Al-Ahly, qui refuse de tourner complètement la page des affrontements.
- "Débat nouveau et positif" -
"Après les événements de 2009, les gens soutenaient n'importe qui contre l'Algérie", se souvient Hatem Maher, journaliste sportif. Mais, selon lui, le fait que la question se pose désormais de supporter ou non les Fennecs est "un débat nouveau et positif".\
"La tension a diminué de manière notable", observe-t-il, mettant en avant l'absence de matches à enjeu au cours de la dernière décennie, l'émergence d'une nouvelle génération de fans mais aussi les "changements politiques".
"Après la révolution de janvier 2011, beaucoup de gens ont commencé à revenir sur ce qui s'était passé et ont accusé Hosni Moubarak (l'ex-président déchu lors de ce soulèvement populaire, ndlr), ses fils et ses médias, d'être les vrais responsables des tensions entre les deux pays et leurs supporters", observe-t-il.
"Entre l'Algérie et l'Egypte, à l'époque, il y avait aussi une rivalité politique pour savoir qui historiquement était le leader du monde arabe", ajoute Pascal Boniface, directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques et auteur de "Géopolitique du sport".
"Les deux régimes étaient en difficulté et comptaient un peu sur l'équipe nationale pour redorer leur blason", explique-t-il.
Aujourd'hui, pour certains Egyptiens, les Fennecs doivent l'emporter. "Les Algériens sont en fête. Pourquoi ne serions-nous pas heureux pour eux ?", se demande Mohamed, ancien entraîneur de foot à la retraite.