PARIS (Reuters) - "On a vengé le prophète Mohamed, on a tué Charlie Hebdo!", ont lancé mercredi les auteurs de l'attentat meurtrier à Paris contre l'hebdomadaire satirique dont les figures emblématiques ont trouvé la mort dans cette attaque sans précédent.
Les caricaturistes Charb, directeur de la publication, Cabu, directeur artistique, Wolinski, Tignous, unis dans leur rejet de toutes les religions, figurent au nombre des victimes de l'attentat, qui a fait au moins 12 morts.
"C'est toute l'équipe historique de Charlie Hebdo qui a été tuée", a réagi Alexis Corbière, secrétaire national du Parti de gauche, qui s'est rendu sur les lieux.
"Charb, dont on nous dit qu'il a été exécuté, était continuellement menacé, il savait qu'il était visé", a précisé pour sa part Jean-Luc Mélenchon, lui aussi présent.
Le policier chargé de la protection de Charb a été tué dans la rédaction par les assaillants, a-t-on indiqué de sources policières. L'attentat n'a pour l'heure pas été revendiqué.
Emanation de la génération Hara-Kiri, qui a apporté un ton libertaire et irrévérencieux dans la presse française, Charlie Hebdo, dans sa version hebdomadaire, fut lancé en 1969 par l'équipe de Cavanna, Choron et Delfeil de Ton, puis relancé dans sa version actuelle en juillet 1992.
Sous la plume acérée et caustique de Siné, Gébé, Willem, Wolinski, Cabu, Charb, Oncle Bernard (l'économiste Bernard Maris, tué dans l'attentat), Luz, Tignous..., le catholicisme, l'islamisme, le judaïsme, les partis politiques, l'extrême droite au premier chef, sont tournés en dérision dans une publication se revendiquant de la "gauche plurielle".
Taxé d'islamophobie, Charlie Hebdo s'est attiré les critiques, voire les foudres des représentants du culte musulman en France à partir de février 2006 avec la publication des caricatures de Mahomet du journal danois Jyllands-Posten, qui avaient provoqué de vives protestations dans le monde musulman.
"MOURIR DEBOUT"
"Il n'y a que trois 'Une' qui ont fait scandale, toujours sur l'islam", témoignait Charb en 2012 dans Le Monde. "Il faut continuer jusqu'à ce que l'islam soit aussi banalisé que le catholicisme", ajoutait-il.
"Je n'ai pas l'impression d'égorger quelqu'un avec un feutre", disait-il, alors que plusieurs responsables politiques, de droite comme de gauche, ont défendu la liberté d'expression de "Charlie" tout en dénonçant des "excès".
En 2006, le Conseil français du culte musulman (CFCM), notamment, avait demandé l'interdiction du numéro jugé blasphématoire.
L'hebdomadaire a été poursuivi par la Grande Mosquée de Paris, l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) et la Ligue islamique mondiale. Le procès s'est soldé par une relaxe en mars dernier.
Les autorités religieuses musulmanes françaises ont unanimement dénoncé mercredi "une déclaration de guerre", "un acte de barbarie".
Le siège de l'hebdomadaire, alors dans le XXe arrondissement, avait été incendié en novembre 2011 après l'annonce de la sortie d'un numéro baptisé "Charia Hebdo», avec «Mahomet rédacteur en chef". Le sinistre n'avait pas fait de blessé. Le site internet du journal avait été piraté.
Depuis ces événements, la rédaction, qui avait déménagé dans un immeuble du XIe arrondissement, sans signe distinctif, bénéficiait d'une protection policière.
"Je ne savais pas que c'était Charlie Hebdo. Il y avait un camion et une voiture de police jour et nuit devant depuis des mois, mais ça avait été levé il n'y a pas longtemps", a déclaré un habitant à Reuters.
Quelques minutes avant l'attaque, survenue vers 11h00 (10h00 GMT), la rédaction avait posté sur son compte Twitter un dessin d'Honoré représentant le chef de l'Etat islamique Abou Bakr al Baghdadi, sous la phrase "Meilleux voeux, au fait".
Sur les réseaux sociaux, les réactions négatives envers Charlie Hebdo voisinaient mercredi avec les hommages : "C'est bien fait pour Charlie Hebdo. A force de jouer avec le feu, on se brûle", peut-on lire notamment.
"C'est peut-être un peu pompeux ce que je vais dire, mais je préfère mourir debout que vivre à genoux", avait déclaré Charb en 2012 dans Le Monde.