Près de dix ans après les faits, un tribunal spécial aménagé sous une tente blanche dans la cour d'une prison de la capitale Maputo a rendu son verdict. Aucun tribunal n'était assez grand pour juger l'un des plus grands scandales qui a secoué le pays parmi les plus pauvres du monde.
L'affaire concerne des prêts secrets de deux milliards de dollars accordés par des banques étrangères à des entreprises publiques mozambicaines, et garantis par l'Etat, officiellement pour des contrats d'équipements de pêche et de surveillance maritime. Le procès, retransmis en direct à la radio et à la télévision, s'est ouvert l'an dernier et a duré sept mois.
En combinaisons oranges de prisonniers pour certains, les 19 accusés étaient sur le banc pour la lecture du verdict qui a duré une semaine. Tous des proches du pouvoir, jugés pour chantage, faux, détournement de fonds et blanchiment.
"Les crimes commis ont eu des effets qui dureront des générations. Le pays a été bloqué, l'aide financière à l'Etat suspendue et la pauvreté s'est aggravée pour des milliers de Mozambicains", a déclaré le juge Efigenio Baptista lors de l'énoncé du verdict.
Les plus grands coupables dans l'affaire sont l'ancien chef des services de renseignement et de la sécurité de l'Etat, Gregorio Leao, et l'ex-patron du renseignement économique, Antonio do Rosario, a-t-il estimé, les condamnant chacun à 12 ans de réclusion.
"Ils devaient être les gardiens de l'Etat", au lieu de cela, "ils ont cherché le point faible du président en approchant sa famille", a fustigé le juge.
"Goûts de luxe"
Ndambi Guebuza, fils de l'ancien chef d'Etat Armando Guebuza, a été reconnu coupable d'avoir joué les facilitateurs auprès de son père alors au pouvoir. En échange, il a touché 33 millions de dollars en pots-de-vin, dépensés en hôtels de luxe, voitures et somptueuses villas.
Le fils du président a "financé ses goûts de luxe aux dépens de l'appauvrissement du peuple", a déclaré le juge. Il a également écopé de 12 ans de prison.
Au total, onze accusés ont été envoyés derrières les barreaux, et huit ont été acquittés.
L'actuel chef de l'Etat, Filipe Nyusi, a été mis en cause dans plusieurs témoignages. Il n'a toutefois pas été inquiété par la justice jusqu'ici.
L'affaire remonte à 2013-2014. Nyusi est alors ministre de la Défense. Trois entreprises publiques mozambicaines empruntent secrètement deux milliards de dollars auprès de banques internationales pour financer des achats de navires de pêche et de patrouilleurs militaires.
Le scandale a éclaté en 2016: l'argent a été emprunté secrètement, sans l'aval du Parlement et dans le dos des créanciers du pays dépendant de l'aide internationale. Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale se retirent.
L'ancienne colonie portugaise fait défaut sur sa dette et sa monnaie, le metical, s'effondre. Le pays plonge dans la plus grave crise financière depuis son indépendance en 1975.
Le FMI a accordé un nouveau crédit au Mozambique en mars (456 millions de dollars), le premier depuis le scandale.
Mais qu'est-il advenu de l'argent emprunté? Surveillance maritime, patrouilleurs, chalutiers... Plusieurs audits n'ont pu déterminer exactement ce qui a été acheté.
Certains des bateaux commandés par la Compagnie mozambicaine de thon (Ematum) à la France, ont bien été livrés et rouillent au port par manque de marins qualifiés, selon un rapport soumis à la justice.
Reste qu'une partie des sommes demeure introuvable. Selon un audit indépendant, 500 millions de dollars ont été détournés. D'autres procédures sont en cours en Suisse, au Royaume-Uni et en Afrique du Sud. La banque Credit Suisse a été condamnée l'an dernier pour son rôle dans l'octroi des prêts secrets.