Les experts espèrent que le procès, le premier pour un djihadiste présumé, le premier lié au conflit malien et le premier où un accusé reconnaît sa culpabilité, enverra un "message fort" contre le pillage et la destruction de patrimoine culturel à travers le monde.
Des dunes du Sahara à celles de la mer du Nord, au pied desquelles se dresse la CPI, le Touareg Ahmad Al Faqi Al Mahdi est accusé d'avoir "dirigé intentionnellement des attaques" contre neuf des mausolées de Tombouctou et contre la porte de la mosquée Sidi Yahia entre le 30 juin et le 11 juillet 2012.
Fondée à partir du Ve siècle par des tribus touareg, tirant sa prospérité du commerce caravanier, la ville de Tombouctou est devenue un grand centre intellectuel de l'islam et a connu son apogée au XVe siècle.
"Les racines et l'âme des peuples"
En tant que chef de la Hisbah, la brigade islamique des moeurs, il aurait ordonné et participé aux attaques contre les mausolées, détruits à coups de pioche, de houe et de burin.
"Attaquer et détruire les sites et les symboles culturels et religieux de communautés est une agression sur leur histoire", a affirmé à l'AFP la procureure Fatou Bensouda : "aucune personne ayant détruit ce qui incarne l'âme et les racines d'un peuple ne devrait pouvoir échapper à la justice".
L'audience s'ouvrira à 09H00 (07H00 GMT) et devrait durer "environ" une semaine, ont indiqué les juges. Si l'accusé plaide coupable, l'accusation et la défense prononceront leurs déclarations liminaires. Le jugement et la condamnation suivront à une date ultérieure.
L'accusé veut plaider coupable car il est "un musulman qui croit en la justice", a assuré son avocat, Mohamed Aouini, lors d'une audience en juin.
Il veut également "demander pardon aux habitants de Tombouctou et au peuple malien", avait ajouté l'avocat.
Le "Shérif" islamique
L'accusation affirme que cet homme aux petites lunettes était un membre d'Ansar Dine, qui fait partie des groupes djihadistes liés à Al-Qaïda qui ont contrôlé le nord du Mali pendant environ dix mois en 2012, avant d'être en grande partie chassés de la région par une intervention internationale déclenchée en janvier 2013.
Versé depuis son plus jeune âge dans l'étude du Coran, cet ancien directeur d'école, né vers 1975, est décrit dans la région comme un homme réservé devenu le "shérif de la ville", intransigeant sur les principes et prônant l'application de la charia.
Les personnages vénérés enterrés dans les mausolées valent à Tombouctou son surnom de "Cité des 333 saints" qui, selon des experts maliens de l'islam, sont considérés comme les protecteurs de la ville, susceptibles d'être sollicités pour des mariages, pour implorer la pluie ou lutter contre la disette...
Ce sont ces rites, contraires à leur vision rigoriste de l'islam, que les djihadistes ont tenté d'éradiquer, avant d'en venir à la destruction des mausolées, selon l'accusation.
En visite sur place début août, la directrice de l'Unesco Irina Bokova a assuré : "la question de Tombouctou me tient beaucoup à coeur". "Il y a des choses que je n'oublierai jamais, la destruction des mausolées, les mosquées saccagées, les manuscrits brûlés. Ce sont des scènes que je n'oublierai jamais", avait-elle ajouté.
Si les ONG se félicitent de la tenue de ce procès "symbolique", elles appellent néanmoins Fatou Bensouda "à continuer ses enquêtes sur les autres crimes qui ont été perpétrés", a affirmé à l'AFP le secrétaire général de l'Association malienne des droits de l'Homme, Bakary Camara, venu à La Haye pour assister aux audiences.
"Les femmes des régions du Nord ont souffert des mariages forcés, des viols, perpétrés par les djihadistes", a-t-il ajouté, assurant néanmoins : "tout le Mali est impatient pour le résultat de ce procès".
Avec AFP