"Qu'Allah soit loué!" Comme chaque dimanche matin, à l'heure habituelle de la messe, l'imam de NASFAT prodigue son prêche enflammé, tel un pasteur d'une église évangéliste, devant un millier de fidèles rassemblés sous de grands hangars, à la périphérie de Lagos.
Il marche de long en large devant la foule, et ponctue ses phrases de vigoureux "Allah!", qu'hommes et femmes assis en tailleur reprennent en coeur, la main levée vers le ciel, pendant que les enfants jouent à chat et à la marelle entre deux tapis de prières.
Chez les Yoroubas (près de 40 millions de personnes), on se convertit tantôt à l'islam, tantôt au christianisme, et une seule et même famille peut tout aussi bien fêter Noël avec son frère que l'Aïd avec sa soeur. Il n'est d'ailleurs pas rare d'entendre un musulman lâcher un "amen" enthousiaste ou d'écouter le dernier titre tendance de gospel dans un taxi décoré des versets du Coran.
Cette "liberté" religieuse est un boulevard pour églises charismatiques, particulièrement agressives lorsqu'il s'agit du devoir impérieux et biblique de l'évangélisation. Tous les chrétiens de Lagos vantent les bienfaits de leur pasteur, qui promet à la fois prospérité financière, guérison miraculeuse, fertilité éternelle et âme soeur fidèle. De quoi convaincre les plus hésitants.
Islam du dimanche
Pour tenter de faire face aux conversions vers ce christianisme moderne et tendance, une poignée de riches banquiers musulmans a décidé de fonder son propre courant: "l'Islam charismatique", tel que le définit Ebenezer Obadare, théologien nigérian à l'Université du Kansas.
"Nous étions un groupe de sept amis qui partagions la même idée de l'islam. On se réunissait le dimanche pour échanger sur le Coran, discuter", se souvient Musediq Kosemoni, l'un des fondateurs de NASFAT (Nasrul-lahi-li Fathi Society).
"En trois, quatre semaines, le nombre de fidèles a grimpé. Ce n'était pas prévu, personne ne peut l'expliquer", poursuit-il, laissant planer le doute du miracle divin, une rhétorique classique chez les concurrents évangéliques.
Fondé en 1995 avec seulement sept personnes, NASFAT compte désormais des centaines de milliers de fidèles et des branches à travers le Nigeria, l'Afrique de l'Ouest, mais aussi en Angleterre, au Canada, en Allemagne ou aux Pays-Bas.
Cette "association" islamique adopte de "nouvelles formes de prières et de prosélytisme (...) et des répertoires de dévotion qui se rapprochent des formes utilisées dans le christianisme pentecôtiste", explique le professeur Obadare à l'AFP.
Micro-crédit et université
NASFAT organise des "nuits de prières". Les fidèles sont invités à coller ostensiblement l'enseigne du groupe sur leur voiture. On n'hésite pas à mettre en garde contre le démon ou autres forces surnaturelles. Toujours au nom d'Allah.
Et comme dans les églises, le sens de la communauté est primordial: on propose des micro-crédits aux plus démunis, le groupe a sa propre université, et les rendez-vous 'post-prières' sont l'occasion de trouver l'âme soeur.
Mais la mesure la plus révolutionnaire de NASFAT est d'avoir fait du dimanche, et non du vendredi, la plus grande journée de prières hebdomadaire. Officiellement, tel qu'il est inscrit sur le site internet de la communauté, il s'agissait de "maximiser le temps de loisir des musulmans qui paressent le dimanche". Officieusement, il fallait surtout leur éviter d'être invités dans l'église des voisins, même si ce but n'a jamais été avoué par les fondateurs du mouvement.
"Des amis m'ont invité aux prêches de NASFAT", raconte Sheriff Yussuf, homme élégant dans une longue robe blanche qui a rejoint la communauté en 1998. "Au début j'étais très sceptique, et puis je me suis dit, pourquoi pas, après tout, je ne fais rien le dimanche."
"Il fallait sortir les musulmans des églises pentecôtiste, leur apprendre le vrai islam", reconnaît M. Yussuf. "Ceux qui se convertissent au christianisme ne connaissent pas leur religion."
Islam éclairé
Le mouvement s'adresse traditionnellement à la classe yorouba aisée et éduquée mais étend sa popularité désormais à toutes les strates de la société.
"L'ambition de NASFAT est unique", explique à l'AFP Lateef Adetona, directeur du département des Religions de l'Université de Lagos. Ses membres "veulent une communauté musulmane éduquée et éclairée, autant pour les femmes que pour les hommes, et leur permettre de sortir de la pauvreté".
NASFAT n'a pourtant jamais percé chez les haoussas du nord, qui représentent l'immense majorité des musulmans du pays et qui sont davantage influencés par l'islam rigoriste d'Arabie Saoudite. Ils méprisent, plus qu'ils ne condamnent, les pratiques libérales du sud-ouest.
"Les dirigeants de NASFAT pensent au contraire que la rigueur salafiste décourage les gens de se tourner vers l'islam", poursuit le professeur Adetona.
"Nous voulons faire blocage à ceux qui donnent une mauvaise réputation à l'islam, conclut Abdulaah Akinbode, chef missionnaire de l'organisation. "Nous organisons toutes sortes de séminaires contre la radicalisation, contre Boko Haram (mouvement jihadiste sanguinaire)."
Avant de prendre congé de ses visiteurs, le chef missionnaire glisse discrètement un livre de prières. Sur la couverture, est affichée le slogan du groupe: "Il n'existe pas d'autre main tendue que celle d'Allah".
Avec AFP