Cheveux rasés, fines lunettes et allure décontractée, Deena, qui était à Rennes (ouest de la France) ce weekend dans le cadre du Festival des Trans Musicales, veut continuer à innover sans se fixer de limites musicalement, entre Tunis et Toulouse, où elle habite depuis un an.
Après une enfance au Qatar, où vivent toujours ses parents infirmiers, la jeune femme, aujourd'hui âgé de 27 ans, s'est installée en Tunisie, son bac en poche, pour suivre des études d'architecture d'intérieur.
Étudiante aux Beaux-Arts de Tunis avant de se lancer dans la musique, elle fut de tous les rassemblements des étudiants de l'UGTT, la puissance centrale syndicale tunisienne, lors de la "Révolution de jasmin".
Pendant les longs mois qui ont précédé l'événement, les étudiants commençaient déjà à se rassembler pour protester "contre l'administration, les injustices, le flicage policier, l'absence de liberté d'expression", explique Deena à l'AFP.
"J'étais là parce que je savais que c'était important de venir en nombre, mais j'avais peur", confie-t-elle. Puis le mouvement prend de l'ampleur et la révolution éclate.
Cinq ans plus tard, la jeune DJ porte un regard teinté d'amertume sur son pays. "Comme tous les impatients, tous les jeunes, je suis un peu déçue. Aujourd'hui, la société stagne, on se dit qu'on a laissé le pays à des technocrates qui vont construire des centres commerciaux alors que les gens vivent mal".
Et de critiquer une Tunisie qui "ne respecte pas ses jeunes", une administration "qui ne respecte pas les citoyens".
Elle reconnaît cependant que le travail de l'Instance Vérité et Dignité, la commission chargée de recenser et réhabiliter les victimes d'atteintes aux droits de l'Homme, est la "deuxième chose cool" qui soit arrivée au pays après les premières élections libres de 2011.
Exutoire de la jeunesse
Autodidacte en musique, Deena Abdelwahed a débuté avec le groupe So Soulful comme chanteuse jazz et funk. Mais c'est dans la musique électronique que cette amoureuse de l'informatique préfère se lancer. "Je suis une geek", ne cesse-t-elle de répéter.
Reste qu'en Tunisie, la musique électronique est surtout une musique de club, où l'on vient boire et danser avant de s'intéresser au son. "La musique électronique va de pair avec les clubs, les nanas, l'alcool, les gens riches", souligne-t-elle.
Depuis la révolution, l'électro est devenu un exutoire chez les jeunes pour évacuer leurs frustrations. "C'est un prétexte pour se défouler, mais les jeunes s'arrachent les cheveux pour qu'elle se démocratise un peu". De plus, les obstacles restent nombreux pour les artistes alternatifs. "Il y a des petits clubs qui innovent, mais c'est très facile de les obliger à fermer en leur retirant leur permis de vendre de l'alcool".
La création reste également, selon elle, assez timide. "C'est difficile de créer, et il n'y a pas moyen d'expérimenter, d'improviser en Tunisie. Il y a peut-être deux ou trois compositeurs qui arrivent à comprendre le système de l'industrie électronique en Europe, mais c'est tout".
Deena qui revendique une filiation avec la chanteuse de rock canadienne Peachies, ne se veut pas une rebelle pour autant. "Je suis féministe mais j'ai un peu peur d'être rebelle, je ne suis pas la prochaine Amina (ex-Femen tunisienne)", explique-t-elle en souriant.
Elle regrette également que la révolution n'ait pas davantage libéré les moeurs. "On est dans une société frustrée. Aujourd'hui les activistes gays se font insulter, voire tabasser dans la rue et les amateurs de metal sont accusés de satanisme. On a l'impression qu'on n'est pas en 2016, que Youtube n'existe pas, qu'il n'y a pas eu de révolution".
Avec AFP