Comment avez-vous eu l'idée de créer DroneAfrica ?
William Elong : "Le projet a commencé en juillet 2015. DroneAfrica est une offre de service à base de drones civils au Cameroun. La finalité est de construire des drones localement. Nous voulons montrer l’Afrique sous un regard différent. Nous filmons les zones valorisantes de l’Afrique, les espaces urbains, les zones touristiques ou les grandes foires culturelles. Par exemple, cette année la grande fête culturelle de Ngondo a été filmée pour la première fois par un drone. C’était complètement inédit. Ça donne un regard différent sur la culture locale et ça fait la promotion du tourisme. Nous avons commencé par travailler avec des drones existants pour pénétrer le marché et faire comprendre aux utilisateurs ce qu’on pouvait leur apporter comme solutions, car les drones en Afrique c’est encore très abstrait. Nous avons commencé une levée des fonds avec pour objectif 300 000 dollars. Le but est de recruter des gens et de monter des ateliers de fabrication de drones locaux. A terme, on sera indépendant."
Quelle est votre ambition à long terme ? Faire évoluer les mentalités en sensibilisant les gens aux nouvelles technologies ?
William Elong : "C’est ça ! Au début, je n’avais même pas de drone quand j’ai commencé, c’était juste une idée. Sans matériel, j’ai fait de la sensibilisation pendant des mois sur ce que c’est qu’un drone. Tout le monde avait l’image d’un drone militaire qui tue des gens. Un drone peut tout simplement être un jouet. Il faut faire un travail psychologique d’abord, pour que les gens acceptent que ça puisse leur être utile. Après, il faut les amener à payer pour ce service, progressivement. Parce que c’est quand même une entreprise, donc il y a un objectif de rentabilité derrière."
Pourquoi au Cameroun, alors que ces nouvelles technologies ne sont pas répandues et que les gens n’auront pas forcément les moyens de s’en acheter ?
William Elong : "Lorsqu'on tape le mot Afrique dans un moteur de recherche, les premières images que l’on voit c’est une savane, des enfants dans une zone démunie, un conflit armé, etc. On veut changer ça car c’est aussi ce que voient les Africains et ce qu’ils retiennent de leur continent. Avec le projet DroneAfrica, au-delà des drones, on a une démarche sociale qui a pour but d’amener les gens à croire en eux, et à croire au développement de l’Afrique. C’est pour ça que nous filmons les nouvelles zones urbaines, les nouvelles cités, les évènements culturels majeurs. On fait tout ça pour que désormais, quand on tape le mot Afrique, on tombe sur des images plus positives. Les investisseurs étrangers potentiels qui ne connaissent pas l’Afrique et qui ne peuvent se fier qu’à ce qu’ils voient derrière leur ordinateur pourront découvrir autre chose et donc seront plus intéressés à investir en Afrique. Peut-être que de jeunes Africains vont changer de logique et commencer à croire en l’Afrique, juste parce qu’ils auront vu plus d’images, plus de contenus concrets, qui leur donne l’impression que l’Afrique bouge."
N’est-ce que ce n’est pas difficile de vouloir imposer ces nouvelles technologies ?
William Elong : "Si, on se heurte parfois à l’incompréhension de nos interlocuteurs. Par exemple au début, les forces de sécurité ne comprenaient pas forcément ce qu’on faisait, même si aujourd’hui l’armée camerounaise utilise des drones. Cela nous a déjà posé pas mal de problèmes alors qu’on prenait simplement des photos. Mais d'autres fois, on reçoit de l'aide. Par exemple, le ministère des Postes et Télécommunications nous a reçus et veut nous soutenir ainsi que d’autres startups. Cette année, le président de la République a mis en avant deux secteurs dans son Discours à la Fête de la Jeunesse 2016 le 16 février dernier : l’agriculture, et l’économie numérique. Dans un pays où l’administration est très centralisée, c’est un élément déclencheur. Le lendemain de ce discours, le monde économique numérique a fait la Une de tous les journaux. Toutes les administrations ont commencé à parler de ça. On a commencé enfin à entendre des ministres parler d’androïdes. Cela a créé une nouvelle dynamique. Tout cet écosystème, qui était caché, commence enfin à sortir de l’eau. L’économie numérique a pris une nouvelle ampleur au Cameroun."
Etes-vous êtes optimiste ?
William Elong : "Beaucoup oui ! J’ai même pu rencontré la ministre des télécoms et lui faire manipuler un drone. Dans les cinq ans à venir, j’aimerais que DroneAfrica devienne un des leaders du marché et sur le continent africain."
Le Cameroun est-il en avance en matière de nouvelle technologies en Afrique ?
William Elong : "Clairement oui ! Au Cameroun, même si il n’y a pas beaucoup d’incubateurs, ceux qui existent accueillent des start-up qui sont parmi les meilleures dans leur domaine. Il y a énormément de projets novateurs. Par exemple, la start-up locale Quizzy a été en finale du concours Deloitte devant 140 projets dans le monde. Un autre exemple : Kiro’o Games, c’est le premier studio de jeu vidéo en Afrique, et c’est un camerounais. La tablette médicale Cardiopad, c’est encore un camerounais ! Donc il y a beaucoup d’initiatives en termes de nouvelles technologies au Cameroun. Le peu que vous arrivez à voir, c’est comme le dessus d’un iceberg ! Le problème, c’est que les jeunes étudiants en informatique n’ont pas fait marketing. Ils se concentrent sur l’aspect innovation technologique, ils créent des applications magnifiques, mais ils ne communiquent pas dessus. Donc à la fin on ne les voit pas. Mais dans les faits, le nombre d’innovations faites en Afrique francophone et surtout au Cameroun, c’est monstrueux."
Propos recueillis par Maylis Haegel