Sur son lit d'hôpital, un jeune pêcheur sénégalais, bandages ensanglantés aux jambes, a pour la deuxième fois "échappé à la mort" après une attaque d'hippopotame sur le fleuve Gambie. La psychose règne dans les environs où ces herbivores à la placidité trompeuse ont causé près de 30 morts en une décennie.
Ce pêcheur, Ali Fall, 25 ans, attaqué début mai, est la dernière victime des hippopotames à Gouloumbou, nom du village sénégalais et du cours d'eau qui le traverse, un bras du fleuve Gambie.
"Avec un collègue, nous étions venus au petit matin retirer nos filets, quand un hippopotame a renversé notre pirogue avec ses pattes. Mon compagnon s'est sauvé mais l'animal m'a mordu à la jambe gauche puis à la droite", témoigne Fall, hospitalisé à Tambacounda, capitale régionale dont dépend Gouloumbou, à environ 500 km à l'est de Dakar.
"C'est la deuxième attaque après une première en 2014. J'ai échappé à la mort à deux reprises. Je vais changer de métier", dit-il.
En une décennie, "25 personnes ont été tuées par les hippopotames à Gouloumbou" et ses environs, notamment des pêcheurs, dit le chef de village Abdoulaye Barro Watt. "J'ai écrit plusieurs lettres aux autorités pour les alerter", précise-t-il.
"Ce sont des bêtes méchantes qui attaquent la nuit comme le jour. A cause d'elles, nous restons plusieurs jours sans pêcher", se plaint Abdoulaye Sarr, un "thioubalo", ethnie spécialisée dans la pêche.
"Il n'y a plus de poisson au marché (de Gouloumbou) parce que nous restons plusieurs semaines sans pêcher", insiste Moussa Bocar Guèye, un autre thioubalo.
Irascible
L'hippopotame, mammifère herbivore amphibie qui passe de longues heures immergé pour protéger sa peau fragile du soleil, est l'un des animaux qui tuent le plus d'hommes à travers le continent, en raison notamment de son irascibilité lorsqu'il est dérangé, selon des experts de la faune africaine.
Mais à Gouloumbou, comme dans de nombreux cours d'eau du Sénégal, l'hippopotame n'était pas connu pour son agressivité.
"Quand nous étions jeunes, nous jouions avec les hippopotames dans le fleuve. Ils étaient inoffensifs. Maintenant, ils surprennent les gens jusque sur la berge. Ils s'attaquent aux champs de riz, d'arachide" et aux bananeraies, affirme le chef de village Watt.
"C'est interdit de les tuer. L'hippopotame est une espèce protégée" au Sénégal parce que menacée de disparition, dit-il. Un inventaire est en cours pour connaître le nombre d'hippopotames dans le pays, selon les autorités.
Des enfants se baignent près du pont qui enjambe le fleuve. Non loin, Aminata Sy, une quadragénaire, torse nu, fait le linge.
"J'ai peur d'une attaque d'hippopotame. C'est pour cette raison que je fais face au fleuve. Je suis obligée de venir laver le linge ici. A la maison, il n'y a ni robinet ni puits", explique-t-elle.
"Nous voulons des pirogues à moteur. Celles que nous avons sont petites et peuvent facilement être renversées par les hippopotames", plaide Abdoulaye Sarr, debout sur la berge. Il désigne de frêles embarcations en bois accostées sur une rive du fleuve, bordée par des champs.
Châtiment et superstition
"Le ministère de la Pêche doit prochainement fournir aux pêcheurs de Gouloumbou vingt pirogues métalliques motorisées, qui peuvent résister aux attaques" des hippopotames, affirme le directeur national de la Pêche continentale, Djibril Signaté.
"Nous sommes en train d'installer une station piscicole à Gouloumbou. Le ministère a aussi déjà distribué à ses pêcheurs des filets, des hameçons et des gilets de sauvetage pour pêcher dans des mares très poissonneuses de la zone" et ne plus dépendre du seul fleuve, ajoute M. Signaté.
Diverses histoires circulent à Gouloumbou sur cette vague d'attaques d'hippopotames.
L'une d'elles veut qu'un vendeur malien de poissons, accusé par ses concurrents de casser les prix et chassé en 2007 de la localité, ait, avant de partir, promis un châtiment à Gouloumbou.
Le pêcheur Abdoulaye Sarr met en cause la disparition "des pratiques mystiques qui protégeaient les gens dans le fleuve parce que maintenant, on y fait n'importe quoi, le linge, la vaisselle..."
Le directeur de la Pêche avance, lui, une hypothèse biologique: "L'hippopotame est un animal qui protège son territoire quand la femelle met bas, comme c'est le cas" pendant le printemps, période où se produisent la plupart des attaques.
Avec AFP