La fermeture du Boulevard du Nil, qui longe le fleuve nourricier du Soudan, par l'une de ces barricades, a créé le chaos dans une bonne partie de la capitale soudanaise et poussé l'armée à suspendre mercredi soir le dialogue avec les leaders de la protestation sur la transition politique.
Les tentatives des forces de l'ordre d'enlever ces barrages, installés également sur d'autres avenues, ont donné lieu à des violences. Cinq civils et un militaire ont été tués lundi dans des heurts et huit civils blessés mercredi.
Le chef du Conseil militaire qui a pris le pouvoir après l'éviction du président Omar el-Béchir le 11 avril, a justifié cette suspension de 72 heures des pourparlers par la dégradation de la sécurité.
Le général Abdel Fattah al-Burhane a cité l'érection de barrages routiers hors du lieu du sit-in principal tenu par les manifestants depuis le 6 avril devant le QG de l'armée, la fermeture d'une ligne de chemin de fer et des "provocations" contre les forces de l'ordre.
Les leaders de l'Alliance pour la liberté et le changement (ALC), fer de lance du mouvement de contestation, ont regretté cette suspension mais affirmé vouloir maintenir la mobilisation.
Chantant de slogans révolutionnaires, des centaines de manifestants se sont affairés aux premières heures de vendredi autour de l'un des barrages obstruant le Boulevard du Nil, selon un correspondant de l'AFP sur place.
"Nous avons levé le barrage routier comme l'armée le demandait", a expliqué l'une des nombreuses femmes qui ont participé à l'opération, en demandant de taire son identité. "Mais si nous exigences ne sont pas satisfaites, nous reviendrons".
- "Lions de la savane" -
L'un des manifestants portant un bandeau sur la tête avec l'inscription "Lions de la savane", dit avoir démantelé le barrage à contre-coeur.
"Est-ce qu'on a consulté avant de le faire les mères des martyrs ? Probablement non ?", a-t-il demandé, laissant entendre qu'il n'était pas d'accord avec ceux, parmi les chefs de la contestation, qui ont demandé le démantèlement des barrages pour faciliter la reprise du dialogue.
Ce manifestant, qui n'a pas donné son nom, a aussi menacé de "rétablir les barrages au cas où les demandes des manifestants ne sont pas satisfaites".
Les barrages érigés hors du lieu du sit-in sont apparus avant le début lundi des négociations et étaient destinés à mettre la pression sur les généraux pour qu'ils cèdent le pouvoir aux civils.
Mais l'armée les a qualifiés d'"inacceptables" tout en affirmant n'avoir aucune intention de démanteler le principal sit-in face à son QG.
La suspension du dialogue est tombée juste avant le début prévu initialement mercredi soir d'une séance ultime des négociations entre les généraux et l'ALC.
Les deux parties devaient lors de cette séance s'accorder sur la composition d'un Conseil souverain, institution clé de la période de transition.
Les militaires veulent que cette institution comprenne une majorité des leurs tandis que l'ALC exige qu'elle soit dominée par les civils.
- "Eléments infiltrés" -
Les deux camps avaient réussi en début de semaine à s'entendre sur la durée de la transition fixée à trois ans et la composition d'une assemblée législative qui devrait comprendre 300 membres désignés dont les deux tiers viendraient de l'ALC.
Concernant les violences meurtrières, le général Burhane les a attribuées à des "éléments infiltrés" qui cherchent à faire dérailler le processus politique et défendu la Force de soutien rapide (RSF) accusée par l'ALC, ainsi que par les ambassades américaine et britannique à Khartoum, d'être responsable des heurts.
Cette force controversée de paramilitaires est composée de miliciens accusés par des groupes de défense des droits humains d'abus au Darfour, une région de l'ouest du Soudan en proie à des troubles depuis 2003.
Elle fait maintenant partie des forces armées et elle est commandée par le général Mohamad Hamdan Daglo, surnommé "Himeidti", également chef adjoint du Conseil militaire.
A la tête du Soudan pendant près de 30 ans, M. Béchir a été destitué et arrêté par l'armée à l'issue d'un mouvement de contestation inédit déclenché le 19 décembre par la décision du gouvernement de tripler le prix du pain dans un pays miné par une grave crise économique. Les manifestations se sont vite transformées en contestation du pouvoir.
Avant les violences de cette semaine, une association de médecins proche de l'ALC a donné un bilan de 90 personnes tuées par les forces de l'ordre depuis le 19 décembre. Les autorités avaient parlé de 65 morts.