Fatoumatta s'est éteinte une semaine après. Elle avait deux ans et compte parmi les 69 enfants qui ont succombé en Gambie à une insuffisance rénale aiguë au cours des trois derniers mois.
Le chagrin partagé entre Gambiens sur les réseaux sociaux est de plus en plus teinté de colère contre cette industrie pharmaceutique étrangère qui pourrait avoir provoqué leur mort, contre le délabrement du système sanitaire et contre la réponse du gouvernement.
Quatre sirops contre la toux et le rhume, fabriqués par le laboratoire indien Maiden Pharmaceuticals, sont mis en cause.
Les enquêtes ouvertes par les autorités et par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) devront dire si la vie de Fatoumatta et des autres, quasiment tous âgés de moins de cinq ans, s'est arrêtée prématurément parce qu'on leur avait administré ces médicaments contenant selon l'OMS des quantités "inacceptables" de diéthylène glycol et d'éthylène glycol, communément employés comme antigel. L'ingestion peut en être mortelle.
L'OMS a lancé une alerte la semaine passée et demandé que les sirops soient retirés de la circulation. Ils n'ont été repérés qu'en Gambie. Mais, dit l'OMS, il n'est pas impossible qu'ils aient été distribués ailleurs, par des voies informelles largement empruntées par les médicaments, en Afrique notamment où le contrôle laisse souvent à désirer.
Les interrogations prolifèrent sur les raisons pour lesquelles des produits frelatés auraient échappé à toute supervision et pourquoi ce petit pays parmi les plus pauvres au monde serait l'un des seuls à les avoir importés.
Nombre de parents ont raconté l'épreuve endurée, photo des disparus à la main. Fatoumatta "ne mangeait plus rien et le sang lui coulait par la bouche et par le nez", rapporte à l'AFP son père Wuri Bailo Keita, laveur de voitures de 33 ans. A la fin, elle souffrait tant "que je priais Dieu qu'il la prenne".
"Justice !"
Wuri Bailo Keita est désemparé et furieux contre le gouvernement. Les autorités gambiennes ont commencé à être alertées fin juillet au moins. Au début, elles ont aussi cité comme cause possible, en plus des sirops, la bactérie E. coli qui se serait propagée à la faveur des pluies importantes. Progressivement, les sirops se sont imposés comme principal suspect.
Des enfants sont encore décédés en septembre. Les autorités ont ordonné le rappel des sirops le 23 septembre.
"Le moment est venu pour le gouvernement de faire son travail et de stopper le commerce de ces produits parce que, s'ils ne le font pas et qu'on importe d'autres sirops, les conséquences seront terribles", dit Mariama Kuyateh, une mère de 30 ans qui a perdu son fils Musa le mois dernier. Ce n'est que samedi que le président Adama Barrow s'est adressé directement aux Gambiens.
Il a ordonné des mesures de sauvegarde pour stopper l'importation de médicaments frelatés et a demandé la création d'un laboratoire de contrôle. Le lendemain, il a fait suspendre la licence de l'importateur des sirops mis en cause. En même temps, la police annonçait l'ouverture d'une enquête.
Le message présidentiel, critiqué pour sa brièveté et son manque d'empathie, n'a pas apaisé la douleur. "Le président Barrow devrait renvoyer son ministre de la Santé; au lieu de ça, il fait ses louanges", s'indigne le père de Fatoumatta. "Nous voulons que Justice soit faite pour ces enfants". Le principal parti d'opposition, le Parti démocratique unifié (UDP), a reproché de la froideur au chef de l'Etat.
Engagement présidentiel
"Un pays traumatisé (se retrouve à) se demander quels autres médicaments disponibles sur le marché sont contrefaits ou dangereux", a-t-il dit dans un communiqué.
Le système sanitaire gambien est notoirement déficient. Le pays accuse un taux de mortalité chez les moins de cinq ans de 49,4 décès pour 1.000 naissances alors qu'il est de 3,7 en Allemagne par exemple, selon l'Unicef.
La Gambie, plus petit pays d'Afrique continentale avec un peu plus de deux millions d'habitants, est 174e sur 191 à l'indice de développement humain de l'ONU, qui agrège des critères de santé, d'éducation et de niveau de vie. L'UDP et d'autres réclament que les responsables de ces décès rendent des comptes.
"Nous sommes consternés" par la réaction gouvernementale, dit Nancy Jallow, de l'ONG Global Bridges, "nous en attendons davantage".
Nulle part ailleurs dans le monde une telle affaire ne se produirait sans qu'un officiel ne perde sa place, dit-elle, alors qu'ici "tout le monde est retourné au travail le lendemain".
Le ministre Ahmadou Lamin Samateh a exclu de démissionner. "Le gouvernement fera tout pour élucider ces évènements", a promis le président.