Un grand nombre de Sénégalais ont péri ces dernières semaines en tentant de gagner en pirogue l'archipel espagnol des Canaries, porte d'entrée à l'Europe, au cours d'une nouvelle vague de départs des côtes d'Afrique de l'Ouest.
L'Organisation internationale des migrations (OIM) a fait état de 140 morts au cours d'un seul naufrage au large du Sénégal fin octobre, bilan contesté par le gouvernement sénégalais.
Le sort de ces Sénégalais a suscité un vif émoi dans l'opinion et sur les réseaux sociaux.
"Nous, jeunesse sénégalaise, avons décidé d'organiser une journée de deuil et de prière ce vendredi pour les victimes de l'immigration clandestine", relate une vidéo diffusée sous le hashtag #LeSenegalEnDeuil, "nous allons observer une minute de silence numérique entre 20H00 et 20H10 (locale et GMT) pendant laquelle un seul message sera diffusé sur tous les réseaux sociaux en hommage aux victimes".
Les Sénégalais étaient invités à publier une photo d'eux sur les réseaux sociaux habillés en noir ou en blanc avec le hashtag #LeSenegalEnDeuil.
Une idée de Pape Demba Dione
Pape Demba Dione en est l’initiateur. "J’avais juste fait un tweet où je soulignais que j’étais attristé par la situation des migrants qui ont perdu la vie en mer. Après, le silence radio de l’État aussi m’a beaucoup dérangé et ça m’a aussi interpellé", explique-t-il. Suite à cela, Papa Demba se lance: "je me suis dit pourquoi pas faire bouger les choses en essayant de lancer un hashtag qui pourra éventuellement rendre hommage aux victimes" de l’émigration clandestine.
Papa Demba lance ainsi un hashtag dénommé #LeSenegalendeuil. Il est rapidement partagé des milliers de fois et devient le top des tendances sur la twittosphère sénégalaise. Galvanisé par cet engouement et soutenu par d’autres activistes, Papa Demba concrétise son initiative avec un programme devenu viral sur la toile.
"De 8h à minuit, nous allons tous changer nos photos de profils et couvertures avec une photo commune et une couverture commune. Après ceux qui le peuvent vont s’habiller en noir durant la journée d’hommage et de 8h à 19h45 aussi nous allons publier des vidéos et des messages d’hommages mais aussi des témoignages des parents des victimes. Et de 20h à 20h10 nous allons observer une minute de silence numérique", détaille-t-il.
Papa Demba met en avant l’harmonie des internautes: "nous allons tous publier le même message. À part ce message, personne n’a le droit de faire une autre publication", conclut-il.
Les familles reconnaissantes
Touchées et reconnaissantes, les familles des victimes et les rescapés voient en cette journée de deuil numérique, une manière de rendre hommage aux disparus mais aussi d’alerter les autorités pour qu’elles se prononcent sur le drame de l’émigration clandestine.
Ahmed Fall est un rescapé.
"Pour nous qui avons perdu des parents, amis et compagnons de voyages, pour nous qui avons passé plusieurs jours en mer et vu des dizaines de personnes périr sans pouvoir les assister, pour nous rescapés et familles des victimes, cet hommage est important même s’il se limite à internet", souligne-t-il.
Ahmed affirme que les victimes et leurs familles ont aussi "souffert du silence de l’État, donc voir des Sénégalais penser à rendre hommage aux victimes ça nous touche énormément et on espère qu’après cette journée les autorités vont enfin se prononcer et surtout agir".
Agir c’est le maître mot d’après Jules Souleymane Ndiaye, journaliste au quotidien L’Observateur.
Celui qui a été l’un des premiers à relayer l’initiative dans la presse estime que cet engagement des internautes doit continuer et passer du virtuel au réel. "Au-delà de la dénonciation, au-delà de déplorer le mutisme de l’État face à cette vague déferlante, il faut aussi la sensibilisation", conseille-t-il.
Pour Jules Souleymane, il faut aussi sensibiliser les jeunes qui ne sont pas sur les réseaux sociaux. "La sensibilisation doit continuer au niveau des quartiers, au niveau des villes, au niveau des marchés pour essayer de dissuader ces jeunes pour dire que même ici on peut réussir".
Le gouvernement a reconnu une hausse des départs de bateaux de migrants et annoncé un renforcement des contrôles en mer.
Plus de 1.500 migrants ont été interceptés sur les côtes sénégalaises ces derniers jours, dont 29 convoyeurs, a indiqué mercredi la police dans un communiqué.