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Le "héros" Sissi désormais pointé du doigt dans une Égypte en crise


Ex-maréchal de 68 ans, Abdel Fattah al-Sissi n'apparaît plus désormais qu'en tenue civile.
Ex-maréchal de 68 ans, Abdel Fattah al-Sissi n'apparaît plus désormais qu'en tenue civile.

Il y a dix ans, il était le "héros" qui débarrassait l'Egypte des Frères musulmans. Aujourd'hui, le président Abdel Fattah al-Sissi vise un troisième mandat à la tête d'un pays dont l'économie à genoux nourrit la grogne populaire.

En juillet 2013, uniforme militaire sur le dos et lunettes noires sur le nez, M. Sissi appelait les Egyptiens à lui donner "mandat" pour renverser l'islamiste Mohamed Morsi et se faisait aisément élire à sa place l'année suivante.

Lundi soir, il a dit "répondre à nouveau à la demande populaire", alors que des milliers de ses partisans avaient été acheminés pour participer à des scènes de liesse autour d'estrades installées sous protection policière sur les places du pays.

L'élection présidentielle prend une nouvelle fois des airs de référendum pour le candidat, un enfant du quartier de Gamaliya, dans le Vieux Caire, père de quatre enfants dont l'un, Mahmoud, passe pour influent au sein des renseignements. Mais cette fois-ci, sa base populaire et même ses soutiens étrangers se sont étiolés au fil des années et d'une gestion économique qui a vu la valeur de la monnaie divisée par deux et la dette multipliée par trois.

Pouvoir personnifié

Car l'homme a personnifié le pouvoir: la Nouvelle capitale en construction depuis 2015 dans le désert en bordure du Caire est la marque qu'il veut laisser. Il est la pierre angulaire de la "Nouvelle république" devenue le slogan des médias proches ou contrôlés par l'Etat et l'appareil sécuritaire.

L'ex-maréchal de 68 ans, qui n'apparaît plus désormais qu'en tenue civile – complet strict ou tenue de sport pour des sorties à vélo filmées ou des visites impromptues à des familles – dirige "seul et est désormais le seul pointé du doigt", indique à l'AFP Hossam Bahgat, l'un des militants des droits humains les plus influents d'Egypte. Pendant une décennie, il a été pour la majorité "le sauveur" qui a vaincu le "terrorisme", comme le rappelait un feuilleton du ramadan 2022 dont il a personnellement récompensé les acteurs.

La rue acceptait alors ses appels aux "sacrifices" car chaque jour il inaugure de nouvelles routes, ponts et autres voies ferrées. Surtout, son gouvernement a annoncé l'éradication de l'hépatite C, une maladie de longue date endémique en Egypte. Aujourd'hui, les réseaux sociaux s'enflamment quand il propose aux étudiants de "donner leur sang pour gagner de l'argent".

Ses partisans rassemblés lundi soir pour l'annonce de sa candidature restent eux confiants. "Les pays de la région se sont écroulés et ne se sont jamais relevés, mais grâce aux efforts du président et de l'armée, l'avenir sera meilleur", assure ainsi Sahar Abdelkhaleq, enseignante venue avec ses élèves en bus.

Au-delà des 105 millions d'Egyptiens, "la majorité des capitales qui comptent n'ont plus confiance dans son modèle économique", affirme le chercheur Robert Springborg. Ses prédécesseurs, tous militaires à l'exception de M. Morsi, faisaient la part belle à des hommes d'affaires proches d'eux. Lui promeut "la militarisation de l'économie et des emprunts gigantesques pour des projets de prestige au rendement économique limité", note M. Springborg.

"Une génération"

Des projets notamment financés par les généreux dépôts en dollars du Golfe, une manne désormais tarie par des Etats qui veulent maintenant "des retours sur investissements". Ils "ne croient plus que le pouvoir égyptien a la volonté politique de changer les choses", explique la chercheuse Hafsa Halawa.

Si des critiques viennent de l'Est, elle viennent aussi de l'Ouest: l'Egypte pourrait de nouveau perdre une partie de son aide militaire américaine à cause des droits humains, a récemment annoncé le patron de l'influente commission des Affaires étrangères du Sénat.

M. Sissi, que l'ancien président américain Donald Trump appelait, selon des fuites, son "dictateur préféré", est régulièrement épinglé par les ONG pour les milliers de détenus politiques, les arrestations pour des écrits en ligne dénonçant l'inflation ou, plus récemment, l'incarcération d'un potentiel candidat à la présidentielle, Hicham Kassem, et de dizaines de partisans d'un candidat déclaré, Ahmed al-Tantawy.

Ce dernier ne cesse de marteler que M. Sissi est "le plus mauvais dirigeant qu'ait connu l'Egypte en 200 ans". Il l'accuse notamment d'avoir mis à bas l'Etat de droit, comme les militants qui assurent qu'il a "fait des lois d'exception la norme".

Après une décennie sous M. Sissi, affirme M. Bahgat, "une génération est devenue adulte en pensant que c'est normal de vivre sous la répression brutale et sans perspective économique".

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