"Il n'y a plus de politique africaine de la France": à Ouagadougou, Emmanuel Macron a donné mardi un ton nouveau aux relations entre la France et l'Afrique, au premier jour d'une tournée dans trois pays du continent.
Sa visite au Burkina Faso a démarré dans une atmosphère tendue, assombrie par une attaque à la grenade contre des soldats français et des manifestations dans la capitale contre la présence française en Afrique.
Dans un franc-parler presque abrupt, il a proposé de réinventer le partenariat entre la France et l'Afrique, renvoyant souvent les Africains à leur responsabilité.
"L'Afrique est un continent incontournable car c'est ici que se télescopent tous les tous les défis contemporains - terrorisme, changement climatique, pauvreté, démographie, urbanisation. C'est en Afrique qu se jouera une partie du basculement du monde", a-t-il lancé.
"La solution ne viendra pas de l'extérieur", les a-t-il averti, "votre génération est condamnée à réussir".
Dans un débat très animé de plus d'une heure avec les jeunes, il a ensuite abordé sans complexe les sujets les plus délicats, de la fécondité au franc CFA, en passant par la présence militaire française, se jetant avec un plaisir visible dans cette joute oratoire.
Parfois provocateur, n'hésitant jamais à mettre les pieds dans le plat, le chef de l'Etat a répondu au tac au tac aux critiques des jeunes, sans pour autant faire de grandes promesses.
Il a cependant fait plusieurs annonces demandées par les Burkinabès: la levée du secret défense sur l'assassinat de l'ancien président Thomas Sankara en 1994, des bourses scolaires, destinées en priorité aux filles, des visas de longue durée et la construction dans la capitale d'une Maison de la jeunesse.
Il a voulu abroger les "vieux réflexes", côté africain les reproches face au passé colonial, côté français l'"arrogance" d'une "politique africaine" uniforme face à 54 pays.
'Nouvelle génération'
"Je suis comme vous d'une génération qui n'a jamais connu une Afrique colonisée", a-t-il plaidé, appelant ses interlocuteurs à sortir du "traumatisme" de la colonisation malgré ses "crimes incontestables". "N'ayez pas une approche bêtement post-coloniale!" a-t-il ainsi lancé à une étudiante.
Il a aussi promis que la France ne soutiendrait plus des grands groupes qui pratiquent la corruption ou de grands projets sans retombées d'emplois ou financières pour les Africains. Autre engagement, organiser "d'ici à 5 ans des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine culturel africain en Afrique".
Mais plutôt que d'écrire précisément une nouvelle forme de partenariat, il a dit vouloir "écouter la jeunesse" pour "inventer une amitié", rétablissant une certaine forme de distance entre la France et les pays africains.
Il a aussi défendu des valeurs qui lui sont chères: émancipation des jeunes filles et des femmes par leur scolarisation et la lutte contre les mariages forcés, soutien à l'entrepreneuriat et innovation.
A ceux qui critiquent la présence de soldats français, il a demandé de "plutôt les applaudir" pour leur combat contre le terrorisme au Sahel. Quant au franc CFA, pour la France il s'agit selon lui d'un "non-sujet" car tout Etat désireux de sortir de cette monnaie arrimée sur l'euro peut le faire
A la sortie, les étudiants ont salué sa franchise mais regrettaient des propos jugés parfois un peu vagues.
Mercredi, il devait se rendre au 5e sommet Europe-Afrique à Abidjan, où il compte lancer une "initiative" pour frapper les passeurs qui exploitent les migrants en Libye et "un soutien massif à l'évacuation des personnes en danger" en Libye, qualifiant de "crime contre l'humanité" la vente de migrants comme esclaves.
La question de l'immigration africaine vers l'Europe et la sécurité seront au coeur du cinquième sommet Union européenne (UE)- Union africaine (UA).
Les jeunes burkinabè séduis mais critiques
Lors de la deuxième partie de son intervention, Emmanuel Macron a invité les étudiants à lui poser des questions, non filtrées par l'Élysée.
Le président a rassuré sur la déclassification des archives concernant le dossier Thomas Sankara et l'affaire François Compaoré est entre les mains de la justice.
Sur le franc CFA, il a déclaré que "la France n'en est pas le maître, elle en est le garant. Cela veut dire que c'est un choix des Etats membres de la zone CFA, personne n'oblige un Etat à en être membre et si le président Kaboré décide demain qu'il n'est plus dans la zone CFA, il n'y sera plus".
Au micro de VOA Afrique, Gilbert Ouédraogo, président de l'ADF-RDA, apprécie la déclaration sur la disparition d'une politique française en Afrique.
"C'est ce que tout le monde souhaite pour que chacun puisse assumer son histoire et gérer son Etat selon sa vision pour avoir un rapport de partenaires''.
Pour Hyacinthe Sanou, journaliste à Ouagadougou, "le langage de vérité" employé par le président français la séduit.
"Nos problèmes, c'est d'abord notre faute, tout n'est pas de la faute de la France", estime-t-il. "Le Burkina, parfois, ne veut pas entendre parler de la France, mais au premier couac, il appelle la France".
Néanmoins, certains étudiants ont souligné le discours "donneur de leçons" du président français au Burkina Faso.
Zoumana Wonogo, correspondant à Ouagadougou