La Marine royale marocaine a ouvert le feu mardi sur une embarcation rapide "go-fast" (puissante embarcation à moteur) qui "se trouvait de manière suspecte dans les eaux marocaines", au nord du pays, et qui avait "refusé d'obtempérer aux avertissements", selon les autorités locales.
Touchée par les tirs, Hayat, étudiante en droit à la faculté de Martil (nord), a succombé à ses blessures à l'hôpital.
Trois autres passagers, âgés de 20 à 30 ans, ont été blessés, dont un est dans un état critique. L'embarcation transportait une vingtaine de migrants marocains.
De nationalité espagnole, le pilote du "go-fast" est indemne et a été arrêté, selon les autorités marocaines, qui ont annoncé l'ouverture d'une enquête.
"Des citoyens marocains civils sont tués de sang froid parce qu'ils veulent juste quitter ce pays de disparités sociales, de pauvreté et de répression", a fustigé mercredi la section de Nador de l'Association marocaine des droits de l'Homme (AMDH).
"Rien ne prouve que les passagers du bateau représentaient une menace, ce qui aurait été la seule justification légale pour que le Maroc leur tire dessus", a de son côté réagi jeudi Sarah Leah Whitson, responsable Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch (HRW).
"Les autorités se sont engagées à enquêter sur ce grave incident; elles devraient le faire immédiatement, divulguer publiquement leurs conclusions et traduire les responsables en justice", a-t-elle ajouté dans un communiqué.
La "grande évasion"
Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes ont partagé des portraits de la "martyre Hayat", dont le "seul tort était de vouloir quitter la misère pour aider sa famille".
"La balle mortelle est porteuse d’un message, elle tue plus qu’une jeune fille, elle tue l’espoir d’une génération", a commenté Mohamed Ennaji, écrivain et universitaire sur sa page Facebook.
Des médias marocains sont allés à la rencontre de sa mère ouvrière et de son père au chômage, vivant très modestement dans un quartier populaire de Tétouan (nord).
L'affaire a fait la une jeudi de plusieurs journaux: certains évoquent la "grande évasion" de la jeunesse marocaine, d'autres la "guerre menée par les autorités" contre les "go-fast", ou les "exagérations" des réseaux sociaux qui donnent l'impression que "tout le pays aspire à l’immigration".
Plusieurs rapports alarmants sur la jeunesse du Maroc, par ailleurs l'une des économies les plus développées du continent africain, ont été publiés ces derniers mois.
Le dernier, rendu public par le Conseil économique et social (CESE), s’inquiète du fossé "vertigineux" séparant les 11 millions de jeunes Marocains (de 15 à 34 ans) du reste de la population.
Décrochage scolaire, chômage, pauvreté et sentiment de frustration exposent les jeunes aux risques de la délinquance, aux sirènes de l'extrémisme et à la tentation de fuir, avance ce rapport.
Rafles et déplacements forcés
"Beaucoup parlent des inégalités, mais je crois que les facteurs d'attraction sont tellement forts, surtout avec les nouvelles technologies de l’information", tempère Khalid Zerouali, en charge de l'Immigration et de la surveillance des frontières au ministère de l'Intérieur.
Le Maroc est aussi un pays de transit pour les migrants originaire d'Afrique subsaharienne et a régularisé quelque 50.000 migrants depuis 2014.
Mais les autorités ont récemment multiplié rafles musclées et déplacements forcés dans le nord du pays, vers des villes plus reculées du centre et du sud, suscitant de vives critiques des défenseurs de droits de l'Homme.
Elles affirment que ces opérations sont menées dans un cadre légal, dans le but de lutter contre les réseaux de passeurs et de réinstaller les migrants "loin des zones vulnérables".
Depuis le début de l'année, l'Espagne est devenue la première porte d'entrée vers l'Europe, avec près de 38.000 arrivées par voies maritime et terrestre, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Les autorités marocaines assurent avoir empêché plus de 50.000 tentatives de traversées depuis le début de l'année et appellent à des aides européennes face au flux migratoire.
Avec AFP