Vendredi, c'est une bombe qu'a lâchée M. Gordhan, présenté par ses partisans comme un "M. Propre" de la politique sud-africaine.
Dans une déposition écrite devant la justice, il a dévoilé plus de 70 transactions considérées comme "suspectes" de la sulfureuse famille Gupta, dont les liens de proximité avec M. Zuma nourrissent toutes les allégations de corruption et d'influence.
Les sommes mises en cause sont énormes: pas moins de 6,8 milliards de rands (433 millions d'euros).
L'initiative du ministre a sonné comme une contre-attaque à sa mise en accusation quelques jours plus tôt par le parquet général, qui lui reproche d'avoir favorisé les conditions du départ à la retraite d'un de ses collaborateurs.
La déposition de Pravin Gordhan a provoqué une onde de choc dans les rangs du Congrès national africain (ANC), qui tient les rênes de l'Etat depuis 1994 et la fin de l'apartheid.
Samedi, le ministre a enregistré un soutien de poids, celui de Cyril Ramaphosa, vice-président sud-africain et candidat potentiel à la succession de M. Zuma en 2019. "J'assure le ministre Gordhan de mon soutien face aux charges qui pèsent contre lui", a-t-il déclaré.
Le ministre de la Santé, Aaron Motsoaeledi, ou encore Jackson Mthembu, le chef des députés ANC au Parlement, se sont également rangés derrière Pravin Gordhan.
'Crise grave'
"Des gens à l'ANC commencent à comprendre la gravité de la crise dans laquelle le pays est plongé. Ils tentent de protéger l'intégrité de l'Etat", estime auprès de l'AFP Prince Mashele, analyste politique et professeur à l'université de Pretoria, qui décrit le soutien de M. Ramaphosa comme "une révolution".
L'opposition, bien sûr, n'est pas en reste. Le parti de gauche radicale des Combattants pour la liberté économique (EFF) a rejoint M. Gordhan en portant plainte dimanche contre les Gupta et un de leurs proches, le ministre des Mines, pour "corruption, vol, fraude, blanchiment d'agent et racket".
"Il est temps pour ces députés ANC et les ministres qui réservent leurs citations aux journaux du dimanche de faire entendre leurs voix", a réclamé de son côté l'Alliance Démocratique, le principal parti d'opposition, appelant au départ de M. Zuma.
Si elles semblent avoir atteint un nouveau sommet, ces fractures au sein de l'ANC ne sont pas nouvelles.
Depuis son retour à la tête du portefeuille des finances en décembre, Pravin Gordhan s'oppose frontalement au chef de l'Etat et à ses fidèles sur la gestion des entreprises publiques, au coeur de plusieurs scandales impliquant le pouvoir.
En avril dernier, lorsque Jacob Zuma avait été condamné à rembourser l'argent public utilisé pour rénover sa propriété privée, Pravin Gordhan n'avait pas hésité à lui reprocher de "s'éloigner de son devoir de servir le peuple".
'Dégâts'
"Nous n'avons jamais vu un tel niveau de divisions au sein de l'ANC et du gouvernement depuis l'arrivée au pouvoir de Zuma", en 2009, s'inquiète aujourd'hui Susan Booysen, analyste politique à l'université du Witwatersrand de Johannesburg.
"Tant de dégâts ont été provoqués en essayant de garder Zuma au pouvoir à tout prix. Ni l'ANC, ni l'Afrique du Sud n'en sortent gagnants", ajoute-t-elle.
Ces tensions et la perspective d'un éventuel renvoi de M. Gordhan agitent déjà les marchés financiers, qui s'inquiètent d'une éventuelle dégradation de la note souveraine de la dette sud-africaine par les agences de notation en décembre.
Depuis plusieurs mois, les mauvaises nouvelles s'acharnent sur le président Zuma, dont le mandat s'achève en 2019.
La croissance de l'économie fait du surplace, le chômage s'obstine à frapper plus du quart de la population active et la contestation, souvent violente, s'est emparée des campus universitaires.
Pour l'heure, le chef de l'Etat bénéficie toujours du soutien d'une majorité de députés de l'ANC. Mais pour combien de temps ?
Repoussée in extremis la semaine dernière par une action en justice, la publication du rapport de la médiatrice de la République sur ses liens avec les Gupta risque fort de prolonger l'instabilité à la tête du pays.
"Les choses sont particulièrement imprévisibles", notait lundi Peter Attard Montalto, analyste à la banque Nomura, "car le principal protagoniste, le président Zuma, est affaibli et n'a plus d'autre stratégie que celle de la terre brûlée".
Avec AFP