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En Afrique du Sud, quand la mine ferme


Entrée de la mine Lily de Vantage Goldfields, en Afrique du Sud, le 5 février 2016.
Entrée de la mine Lily de Vantage Goldfields, en Afrique du Sud, le 5 février 2016.

Autrefois premier producteur d'or au monde, l'Afrique du Sud est aujourd'hui tombée à la 7e place, avec une chute de 40% de la production en 10 ans.

Au bout d'une route étroite, un parking défoncé puis un bâtiment à l'état de squelette mangé par les hautes herbes. C'est tout ce qui reste du golf de la ville minière de Blyvooruitzicht. Jadis symbole de son opulence, il est désormais le témoin de sa décadence.

Joseph Rammusa, 53 ans, fut le fier président du club de golf. Le dernier. Car en 2013, la vie de sa cité, à une centaine de kilomètres à l'est de Johannesburg, a brutalement basculé.

"Le 12 août au soir, on m'a fait venir d'urgence au bureau pour imprimer un document", raconte l'ex-employé. "J'ai commencé à le lire et, là, ça a été le choc... J'ai compris que notre mine avait été placée en liquidation."

Depuis 70 ans, Blyvooruitzicht était assise sur l'un des filons d'or les plus riches de toute l'Afrique du Sud. La mine était même l'une des plus importante du pays dans les années 60.

Jusqu'à ce que, au nom de la rentabilité, l'exploitant décide de mettre la clé sous la porte et qu'il abandonne les 1.700 salariés au chômage, aux pollutions et aux pillards. Et ce, même si en 2011, le site produisait encore 121.000 onces d'or (3,4 tonnes) -- loin toufefois des 750.000 onces des plus grosses mines au monde.

Ce cas est loin d'être isolé: en Afrique du Sud, les fermetures de mines, l'une des principales richesses du pays, se succèdent au gré des grèves et des variations du prix des matières premières. Les mines d'or de plus en plus profondes nécessitent une importante main-d'oeuvre et deviennent de moins en moins rentables.​

Décharge et poussières toxiques

Quand la mine a fermé à Blyvooruitzicht, "tout a commencé à s'écrouler", dit Joseph Rammusa.

Licenciés, les ex-salariés n'obtiennent aucune indemnité en raison d'un litige entre les deux derniers opérateurs de la mine, les groupes DRD Gold et Village Main Reef.

Les 6.000 habitants de la ville perdent l'accès à l'eau et à l'électricité, jusque-là payées par la mine.

Pire, l'exploitant laisse une décharge industrielle à ciel ouvert: au moindre souffle de vent, Blyvooruitzicht est balayée d'un épais nuage de poussières toxiques.

Et dans les rues, les gangs se disputent, armes à la main, le recyclage des installations minières.

Quatre ans plus tard, rien n'a changé ou presque. Faute de travail, les ex-mineurs et leurs familles survivent grâce à la débrouille et aux petits boulots.

"J'ai un peu d'argent grâce à ma mère, qui touche des aides sociales", admet Elliot Matshoba, 51 ans. "On se bat pour manger, pour l'eau, l'électricité...", énumère l'ancien mineur, "même pour envoyer nos enfants à l'école".

'Tout le monde s'en fout'

Côté environnement, la situation ne s'est guère améliorée non plus. Les eaux usées se déversent dans les rues et l'eau potable ne coule que par intermittence.

Les autorités sont restées arc-boutées sur une lecture stricte de la loi sur les faillites. "Le gouvernement dit qu'il ne peut rien faire pour nous", dénonce, amer, le porte-parole des résidents, Pule Molefe, 38 ans, "ça fait mal parce qu'on a l'impression que tout le monde s'en fout".

"Pour la population, c'est le néant", résume l'avocate Michael Clements. "D'un côté les autorités locales sont incapables de jouer leur rôle (...) de l'autre l'entreprise s'en va en claquant simplement la porte".

Son ONG, Avocats pour les droits de l'Homme (LHR), a publié un rapport accablant sur Blyvooruitzicht qui dénonce "l'abdication" des politiques et des entreprises.

Selon la Chambre des mines, 40.000 emplois ont disparu dans le secteur en 2015 et 2016, près d'un dixième des effectifs.

'On se nourrit de chacals'

Les dégraissages sont parfois violents. Comme à Kroondal, près de Pretoria. Après une grève en 2009, près de 4.000 salariés de cette mine de platine ont été licenciés sans indemnité car ils avaient refusé l'accord signé par leur syndicat.

Alors depuis sept ans, une poignée d'irréductibles occupe un foyer du site de Kroondal dans l'espoir d'une compensation. Environ 200 personnes y végètent dans des conditions d'un autre siècle. La tuberculose y fait des ravages.

"On se nourrit de chacals, de singes ou de chats, sauf à trouver quelqu'un qui nous offre de quoi manger", décrit leur représentant, Elpideo Mutemba.

Lui aussi en veut au gouvernement. "Il ne nous aide pas parce que les gros bonnets de l'ANC (Congrès national africain, au pouvoir) ont des parts dans la compagnie", dit-il.

Le propriétaire de la mine, Sibanye Gold, a demandé l'expulsion des "squatteurs". En attendant un jugement, il continue à leur payer l'eau et l'électricité pour montrer sa "bonne volonté", assure son porte-parole James Wellsted.

'Faire un exemple'

Le patron de DRD Gold, lui non plus, ne se sent pas légalement obligé d'aider ses anciens salariés de Blyvooruitzicht.

"Vous ne pouvez pas demander à une entreprise de réparer ce qu'elle n'a pas cassé", assène Niël Pretorius, qui attribue la fermeture du site au "comportement irresponsable" des syndicats et à celui "pas très réfléchi" de l'Etat.

Tout au plus se reconnaît-il un "devoir moral" en matière de "développement durable et social".

Longtemps intouchables du fait de leur poids économique, les groupes miniers pourraient toutefois être contraints à changer: une plainte pénale pour atteinte à l'environnement vient d'être déposée contre trois propriétaires de Blyvooruitzicht. Pour la première fois, l'Etat s'y est associé et le parquet a décidé d'engager des poursuites.

A l'origine de cette plainte, la directrice de la Fédération pour un environnement durable (FSE) s'en félicite. "Ca va faire un exemple", dit Mariette Liefferink, "désormais, les patrons seront responsables s'ils ne respectent pas la loi".

En attendant une éventuelle condamnation, Joseph Rammusa continue, lui, à espérer la réouverture de sa mine.

"Un repreneur travaille au redémarrage", veut-il croire. "Tout le monde ne retrouvera pas du travail mais ceux qui en auront nous ramèneront un peu de vie au village".

Avec AFP

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