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En Ethiopie, les caravanes de sel bousculées par la modernité


Blocs de sel taillés en briques en train d'être chargés sur le dos dun dromadaire, dépression du Danakil, Ethiopie, le 22 avril 2013.
Blocs de sel taillés en briques en train d'être chargés sur le dos dun dromadaire, dépression du Danakil, Ethiopie, le 22 avril 2013.

Chaque matin pendant la saison sèche, dans une région reculée d'Ethiopie, des centaines d'hommes convergent sur les bords du lac Assalé pour y extraire le sel, comme le faisaient leurs parents et leurs grands-parents.

Depuis des siècles, ils détachent du sol craquelé de gros blocs de sel qu'ils taillent en briques à l'aide d'une herminette, une petite hache à la lame courbée, sous le regard inexpressif de dromadaires, sur lesquels la récolte sera ensuite transportée.

Mais le gouvernement éthiopien, qui veut désenclaver cette région isolée du nord-est du pays, y construit des routes et s'efforce d'attirer investisseurs et touristes, faisant craindre aux mineurs de sel, caravaniers et commerçants la fin programmée de leur mode de vie traditionnel.

"Si ça continue comme ça, on n'aura plus de travail", déplore Musa Idris, un mineur interrogé sur les bords du lac Assalé, où les températures frôlent parfois les 50°C, en faisant l'un des endroits les plus chauds et arides au monde.

Mais si le commerce demeure important, il n'a plus le monopole de l'économie locale dans cette région de la dépression du Danakil.

Des restaurants et hôtels sont sortis de terre pour accueillir des touristes, qui viennent des quatre coins du globe admirer les paysages lunaires formés par l'intersection de trois plaques tectoniques.

- Briques de sel -

La matière première de la région a attiré l'attention d'investisseurs : une société éthiopienne a construit à quelques kilomètres de là une installation où l'eau du lac est pompée et versée dans des bassins d'évaporation. De l'aveu des mineurs eux-mêmes, le sel ainsi récolté est de meilleure qualité que celui de leurs briques, mais il coûte plus cher à produire.

"La récolte traditionnelle est assez différente de la nôtre. Elle demande plus d'efforts et de temps", explique à l'AFP le responsable de l'usine, Maheri Asgedew.

Celui-ci prédit que son installation, qui a récemment démarré la production, sera un jour la principale pourvoyeuse de sel de la région.

Mais de tous les changements venus perturber le commerce du sel dans les environs, la construction de routes bitumées est sans doute la plus significative.

L'Ethiopie, deuxième pays le plus peuplé d'Afrique avec quelque 100 millions d'habitants, affiche depuis plusieurs années des taux de croissance très élevés, avoisinant 10% en 2015.

Le gouvernement a multiplié les grands projets d'infrastructures, comme des barrages ou des routes, afin de sortir de la pauvreté les quelque 30% de la population qui s'y trouvent encore.

Auparavant, il fallait quatre jours aux caravanes pour rallier la ville la plus proche, Mekele, en empruntant des chemins caillouteux.

A présent, les dromadaires s'arrêtent à Berhale, devenu le principal centre de négoce du sel dans la région, qu'une route relie depuis cinq ans à Mekele.

Le trajet prend désormais trois jours, un gain de temps que certains caravaniers apprécient.

Chaque jour, ce sont 5.000 briques de sel qui arrivent au comptoir de Berhale, installé sur le lit d'une rivière asséchée. La cargaison achetée est alors chargée dans des camions, dont certains partent jusqu'au Kenya voisin, selon Ahmed Ali Ahmed, responsable adjoint de l'association des mineurs de sel.

- 'Beaucoup de changements' -

"La route nous a apporté beaucoup de changements car nous pouvons maintenant facilement transporter le sel jusqu'à Mekele", se félicite M. Ahmed.

Et le jeune homme de pousser le raisonnement jusqu'au bout, évoquant le jour où le secteur n'aura plus recours aux dromadaires.

"Nous espérons qu'il y aura (à la place) quelque chose comme des voitures".

Une partie des mineurs du lac Assalé supporte de moins en moins les conditions éprouvantes de ce dur labeur, pas assez payé à leur goût.

Idris gagne 500 birr par jour (21 euros), mais ne peut travailler tous les jours tant la tâche est rude. Son salaire lui permet à peine de payer son loyer à Hamed Ela, un hameau de cahutes délabrées près du gisement de sel.

"Nous n'avons pas d'eau courante et parfois on mange de la nourriture qui est mauvaise", peste Idris.

"Si la technologie arrive et apporte des changements, ce sera pour le mieux", estime-t-il.

Mais d'autres tiennent à ce que la tradition perdure dans le secteur.

"Pour nous, c'est comme notre terre à cultiver. Nous n'avons rien d'autre", témoigne un autre mineur, Indris Ibrahim, avant d'ajouter : "J'espère que mes enfants et mes petits-enfants récolteront le sel ici".

Avec AFP

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