"Depuis Condé, on a la lumière", dit Fatou Conté, vendeuse de pain de 41 ans. Diabate Famoro, 33 ans, qui subsiste comme il peut malgré un diplôme de chaudronnier, se plaint des coupures incessantes parmi toutes les incertitudes de sa vie, et s'inquiète de savoir comment il va recharger son portable.
Dans le vacarme des haut-parleurs de campagne et des klaxons des motos qui slaloment en escadrilles dans l'encombrement de Conakry, Fatou Conté et Diabate Famoro ont en commun d'appartenir aux vastes classes populaires. Leur contradiction rend compte à la fois des progrès réalisés depuis 2010, année où Alpha Condé a accédé à la présidence, et des retards qui maintiennent le pays parmi les plus pauvres du monde, malgré des ressources naturelles considérables.
M. Condé brigue un troisième mandat, faisant fi de mois de contestation. Il a fait dresser d'immenses portraits de lui promettant la "prospérité partagée". Dans la ville trépidante pavoisée aux couleurs jaunes du parti du président ou vertes et blanches de son adversaire, ce dernier, Cellou Dalein Diallo, proclame sur ses affiches que "le changement, c'est maintenant".
M. Condé invoque dix années de redressement de l'Etat et d'avancée des droits, malgré les accusations d'Amnesty International ou de Human Rights Watch. Mais il se veut surtout un "bâtisseur" qui dit avoir avoir relevé son pays à force de grands chantiers et de réformes après l'avoir trouvé à terre en 2010.
Ebola puis Covid
"La banque centrale n’avait pas un mois de réserve, l’inflation était à 21%, on n’avait terminé aucun programme avec la Banque mondiale qui nous appelait 'le panier percé'", disait-il au quotidien français le Monde en 2019.
Le Premier ministre Kassory Fofana revendiquait récemment une "impulsion sans précédent" donnée sous M. Condé à l'exploitation des riches ressources minières, avec plus de 10 milliards de dollars d’investissements et 17.000 emplois directs et 50.000 emplois indirects créés.
La Guinée a les premières réserves mondiales de bauxite, dont elle est le deuxième producteur mondial après l'Australie. Elle recèle du fer, de l'or et du diamant. Le "château d'eau de l'Afrique" dispose d'une autre manne avec ses cours d'eau, ses reliefs et sa pluviométrie, et la présidence Condé s'enorgueillit des barrages qu'elle a construits. Le plus important à Souapiti, projet gigantesque sur fonds chinois, est censé finir de répondre aux besoins du pays en courant et même permettre d'exporter de l'électricité après sa mise en service, en principe d'ici à la fin de l'année.
Ce projet phare fait dire à Fatou Conté, la vendeuse de pain, qu'Alpha Condé "a construit, il a fait sortir la Guinée d'une crise (de dimension) mondiale". Sous Lansana Conté, président de 1984 à 2008, "le pouvoir n'était pas tranquille. Depuis Condé, on a la lumière, tout est stable, tout va bien", dit-elle, casquette et tee-shirt aux couleurs jaunes du parti de M. Condé, au milieu d'un meeting où des femmes en boubou dansent sur des chants braillés par des enceintes géantes à la gloire du président.
Sous la présidence Condé, l'économie a été éprouvée par la fièvre Ebola (2013-2016), puis est revenue à une croissance forte, à nouveau émoussée par le Covid-19. Plus d'un Guinéen sur deux vit dans la pauvreté selon l'ONU. L'accès à l'électricité et à l'eau est disparate.
Partir ?
Des lois insuffisantes, un système bancaire inadapté, une corruption dénoncée de toutes parts, des routes et des infrastructures délabrées ou inexistantes font obstacle au développement.
Bady Balde, directeur exécutif adjoint de l'Initiative pour la transparence dans les industries extractives, organisation pour la bonne gouvernance dans ce secteur, note que la Guinée a accompli des "progrès significatifs" pour surmonter la défiance des investisseurs, par exemple en réformant son code minier en 2013. Mais "les progrès sont loin d'être suffisants" et "la Guinée est loin d'avoir atteint tout son potentiel".
Dans un rapport sur les promesses tenues ou non par M. Condé et le gouvernement, l'Association des blogueurs de Guinée, qui dit oeuvrer pour la bonne gouvernance par le numérique, note que les mines, qui tirent la croissance, sont, avec 38%, l'un des secteurs où le pouvoir a le mieux honoré ses engagements, derrière les affaires sociales (50%) et avant la justice (30%). Mais en tout seuls 40 engagements sur 315 ont été respectés, soit un taux de 13%, dit-il.
Diabate Famoro, le diplomé en chaudronnerie, dit n'avoir "rien compris à ces dix années". Il est venu avec un ami, Sylla Mohamed Lamine, amener son père de 63 ans à l'hôpital Ignace Deen.
"On parle de prospérité", dit Sylla Mohamed Lamine, 34 ans, en regardant l'une des affiches de M. Condé. En fait "c'est la galère". Diabaté Famoro n'ira pas voter. Sylla Mohamed Lamine votera nul. Souvent il pense à partir: "Pourquoi je ferai pas comme les autres, prendre la Méditerranée et tenter ma chance".