L'homme politique de 59 ans a été désigné par le Parlement basé dans l'Est en février pour former un gouvernement en remplacement de l'exécutif de Tripoli (ouest) dirigé par Abdelhamid Dbeibah, mis en place un an plus tôt dans le cadre d'un processus de paix parrainé par l'ONU pour sortir le pays de plus d'une décennie de chaos.
Or, M. Dbeibah refuse de remettre le pouvoir avant la tenue d'élections, au grand dam de M. Bachagha, soutenu par le Parlement et par le maréchal Khalifa Haftar, l'homme fort de l'Est libyen.
Mi-mai, il avait annoncé en pleine nuit son entrée à Tripoli. Des combats avaient alors éclaté entre groupes armés fidèles à l'un ou l'autre, se soldant par la mise en échec de sa tentative de déloger son rival.
S'il s'est retiré, c'est pour éviter l'effusion de sang, affirme-t-il, sans pour autant renoncer à prendre ses fonctions à Tripoli.
"Toutes les routes vers Tripoli sont ouvertes et, si Dieu le veut, nous y serons dans les prochains jours", insiste M. Bachagha dans un entretien via Zoom réalisé vendredi depuis son QG provisoire dans la ville de Syrte, à 450 km à l'est de Tripoli.
- "Illégitime" -
MM. Bachagha et Dbeibah sont soutenus par différents groupes armés dans la capitale, mais "certaines forces armées ont changé de position", assure M. Bachagha.
La présence de deux gouvernements rivaux est symptomatique du chaos auquel la Libye est en proie depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, marqué par de profondes divisions entre institutions rivales de l'Est et l'Ouest.
L'exécutif d'Abdelhamid Dbeibah devait conduire le pays à des élections législatives et présidentielle en décembre, mais celles-ci ont été reportées sine die pour des divergences sur la base juridique du scrutin et la présence de candidats controversés.
M. Bachagha estime que le gouvernement de Tripoli est "illégitime": "son mandat est terminé et il n'a pas réussi à organiser des élections", assure-t-il.
Bien qu'il soit appuyé par le camp de l'Est, M. Bachaga est un notable de Misrata, dans l'ouest libyen, comme son rival M. Dbeibah.
Ancien formateur de pilotes d'avions, il s'était fait connaître durant son passage à la tête du ministère de l'Intérieur de 2018 à début 2021.
Mais il est aujourd'hui au coeur d'une grave crise institutionnelle qui fait craindre une nouvelle guerre civile.
S'il exclut ce scénario, M. Bachagha pense qu'"il pourrait y avoir du chaos à cause des manifestations qui demandent qu'il y ait un seul gouvernement qui puisse unir les Libyens".
Début juillet, des manifestations ont eu lieu à travers le pays contre la dégradation des conditions de vie, les coupures de courant et pour exiger le renouvellement de la classe politique, MM. Dbeibah et Bachagha compris. Des contestataires ont notamment forcé l'entrée du Parlement, basé à Tobrouk (est), avant d'y mettre le feu.
- Solutions libyennes -
Depuis mi-avril, des partisans du maréchal Haftar bloquent des installations pétrolières clefs comme moyen de pression pour déloger l'exécutif de Tripoli.
Le blocus provoque aussi une baisse de la production de gaz pourtant nécessaire à l'approvisionnement du réseau électrique, prolongeant un peu plus la durée des coupures d'électricité.
Il n'y a "aucun lien" entre coupures et blocus, se défend M. Bachagha, pour qui ses auteurs "lèveront le siège" dès qu'ils "seront sûrs que les revenus n'iront pas à la corruption".
Alors que le conflit a été largement alimenté par les ingérences extérieures, M. Bachagha appelle l'ONU à "adopter des solutions qui fonctionnent pour les Libyens plutôt que pour les États qui interfèrent en Libye".
"Nous avons réussi à éviter toute confrontation militaire, mais la Libye ne peut rester ainsi éternellement. Il faut une solution", met-il en garde.