Mercredi soir, le gouvernement de gauche de Pedro Sanchez a décidé d'étendre à la capitale et à neuf communes environnantes les restrictions déjà en vigueur depuis la semaine dernière dans les quartiers les plus touchés.
Résultat, les plus de 4,5 millions d'habitants concernés ne pourront sortir de leurs communes que pour des raisons de première nécessité, comme aller travailler ou étudier par exemple.
Un passage en force intervenant après deux semaines de bras de fer avec le gouvernement régional de droite, navire amiral du Parti Populaire (PP) et seul compétent, comme les autres exécutifs régionaux, en matière de santé.
Vent debout contre un texte taxé de "non valide juridiquement", la région a annoncé qu'elle porterait l'affaire en justice, tout en assurant qu'elle appliquerait les mesures comme lui a demandé le gouvernement dans un délai de 48 heures.
Spectacle "criminel"
"Le spectacle auquel nous assistons dans la région de Madrid avec cette bataille terrible (...) est absolument criminel", juge Euprepio Padula, analyste politique à la tête du cabinet Padula & Partners.
"Car ici, ce n'est pas l'économie qui est en jeu, mais la vie de nombreuses personnes. L'ennemi n'est pas l'adversaire politique, mais le virus; ce spectacle idéologique n'a rien à voir avec les données objectives qui sont clairement terribles", ajoute-t-il.
En effet, le taux d'incidence, c'est à dire le nombre de cas pour 100.000 habitants sur les 14 derniers jours, dépasse les 700 dans la région de Madrid, contre près de 300 à l'échelle nationale, ce qui est déjà un record au sein de l'Union européenne.
Et pourtant, la région a traîné des pieds avant d'adopter des restrictions à la liberté de mouvement dans les quartiers dont l'incidence dépassait le seuil de 1.000 cas, alors que le gouvernement voulait un abaissement de ce seuil à 500 pour pouvoir englober toute la capitale.
"Cette lutte politique acharnée a été catastrophique", regrette Paloma Roman, professeure de sciences politiques à l'Université Complutense de Madrid. Un "spectacle lamentable dans la tragédie que nous vivons tous, (...), navrant pour les citoyens", ajoute-t-elle.
"Les scientifiques aux commandes"
Dans les rues de Madrid, la colère contre la classe politique était perceptible.
"Ils donnent un bien triste exemple", a lancé Virginia Huerta, employée de 45 ans dans une agence de communications, au micro de l'AFPTV.
"Il faudrait penser au bien commun, à sauver des vies, les scientifiques devraient être aux commandes et non les politiciens afin de régler la situation", a-t-elle poursuivi.
Un sentiment partagé par les professionnels de santé dans une région où un lit d'hôpital sur quatre est occupé par des patients atteints du Covid et plus de 40% de ceux en unités de soins intensifs.
"Une fois de plus, citoyens et personnels soignants assistons abasourdis à ces batailles politiques qui n'ont rien à voir avec le problème de fond", a déclaré sur la radio publique Tomas Cobo, vice-président de l'ordre des médecins espagnols.
"Laissons les experts et non les politiciens dicter ces mesures aussi difficiles", a-t-il poursuivi.
Signe de la consternation du monde de la santé, l'ex-responsable de la santé publique de la région de Madrid Yolanda Fuentes, qui avait démissionné en mai pour exprimer son désaccord sur la stratégie anti-Covid de la région, a twitté récemment un passage du Titanic avec le mot-dièse #Bonnechance.
Contrairement à d'autres pays, aucun pacte de non-agression n'a été scellé en Espagne entre gouvernement et opposition afin de lutter contre le Covid-19.
"On voit bien que dans d'autres pays comme l'Italie ou l'Allemagne, où il n'y a pas eu de batailles politiques entre gouvernement et opposition ou entre régions et gouvernement central, la pandémie est mieux contrôlée", affirme Euprepio Padula.