Sur les 80 km séparant Goma de Kitshanga, dans l'est de la RDC: des villages incendiés, d'autres déserts, des dizaines de miliciens, certains très jeunes, en armes et uniformes de l'armée. Kitshanga, cité stratégique du Masisi, au nord-ouest de la capitale du Nord-Kivu Goma, a été reprise début octobre par des groupes armés et des militaires congolais.
Le M23 (Mouvement du 23 mars), rébellion majoritairement tutsi soutenue par le Rwanda selon de multiples sources, s'était emparé de la ville en janvier, continuant alors sa conquête de vastes pans de territoires dans la province. Après six mois d'un calme précaire, les combats viennent de reprendre dans les territoires de Masisi et Rutshusu.
Ce week-end, l'armée a organisé un "voyage de presse" vers Kitshanga, emmenant près des lignes de front une dizaine de journalistes, dont un reporter de l'AFP, encadrés par Congo Protection, une société militaire privée d'un millier d'hommes venus principalement d'Europe de l'est, déployés dans l'est congolais en début d'année.
Les consignes données par l'armée aux journalistes avant le départ sont claires. Il est interdit de photographier "nos amis blancs", en référence aux "instructeurs" de Congo Protection. Interdiction également de filmer les FARDC (Forces armées de la RDC) et les interviews doivent être réalisées sous la surveillance d'agents de l'Etat.
Officiellement, l'armée respecte un cessez-le-feu face au M23. Mais de nombreux témoignages d'habitants et des sources sécuritaires affirment que les FARDC appuient militairement les "wazalendo" (nom populaire donné aux miliciens alliés contre le M23). Dans le centre de Kitshanga, terminus du voyage, l'atmosphère semble calme. Des femmes vendent au marché, des commerces sont ouverts, des dizaines d'hommes en armes – militaires comme miliciens – circulent en ville.
"Libérer le pays "
"J'ai abandonné mes enfants", déclare à l'AFP Tantine Daphrose, 30 ans, habillée d'un uniforme de l'armée congolaise.Cette mère de six enfants, de l'ethnie hutu, a rejoint le groupe armé APCLS (Alliance des patriotes pour un Congo libre et souverain) il y a plus d'une année "pour libérer le pays" face au M23, dit-elle.
Un de ses chefs se présente devant les caméras, visage mangé par de grosses lunettes de soleil fantaisie. "Dans notre groupe, il y a toutes les tribus qui disent non à l'envahissement de notre pays", déclare le "colonel" autoproclamé Ngowa Luwanda. Celui qui se présente comme le "chef des opérations des wazalendo" explique "être ici pour chasser l'ennemi" et qu'ils se battront "jusqu'aux limites du Congo". Il se veut rassurant et affirme qu'ils n'essayeront pas d'envahir le Rwanda, que tout le monde désigne ici comme l'ennemi.
Entre deux interviews, des agents de l'Etat rappellent à l'ordre des journalistes qui cherchent à interviewer des habitants à l'écart du groupe. Un photographe se voit contraint d'effacer des images après inspection de son appareil photo. "Quand le gouvernement est entré ici, tout le monde a acclamé", se réjouit John Ishara, un habitant de Kitshanga. "Nous ne savions pas s'ils allaient réussir ou non, mais maintenant nous croyons en eux".
Début octobre, la ville est passée des mains de l'EAC-RF (une force d'Afrique de l'Est censée assurer une zone tampon entre les belligérants) aux milices locales, puis au M23 qui l'a reprise pendant moins de 24H, avant de la laisser aux groupes armés et à l'armée.
Des affrontements dans la périphérie de la ville continuent ces derniers jours. En raison des combats dans la zone, "2.000 personnes ont trouvé refuge dans la base de la mission de l'ONU à Kitshanga et 18.000 hommes, femmes et enfants se sont mis à l'abri juste à l'extérieur de la base", a déclaré lundi dernier Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général de l'ONU.
Une semaine avant la reprise des affrontements, les principaux groupes armés de la province avaient rencontré près de Goma les autorités militaires et avaient déclaré "être prêts à déposer les armes".
"Nous demandons au gouvernement de nous aider", appelle la milicienne Tantine Daphrose. "Je vais me battre jusqu'au bout, je n'ai pas peur de la mort", conclut-elle.
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