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La confédération des régimes militaires sahéliens divise l'Afrique de l'Ouest


Le colonel malien Assimi Goïta, le général nigérien Abdourahamane Tiani et le le capitaine burkinabè Ibrahim Traoré réunis lors du premier sommet de l'Alliance des États du Sahel.
Le colonel malien Assimi Goïta, le général nigérien Abdourahamane Tiani et le le capitaine burkinabè Ibrahim Traoré réunis lors du premier sommet de l'Alliance des États du Sahel.

La création samedi de la confédération de l'Alliance des Etats du Sahel (AES) par les régimes militaires du Mali, du Burkina et du Niger plonge l'Afrique de l'ouest dans une crise inédite qui pourrait menacer la libre circulation des biens et des personnes dans la région.

Cette confédération acte une rupture avec la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cedeao) qui, à l'aube de ses 50 ans, semble impuissante à faire revenir les trois pays sahéliens dans son giron.

Les premières tensions sont apparues en 2020 et 2021 après les putschs qui ont porté le colonel Assimi Goïta au pouvoir au Mali. A l'époque, la Cedeao prend de lourdes sanctions commerciales et financières contre Bamako, qualifiées "d'illégales et inhumaines", et suspend le Mali de ses instances. La levée de ces sanctions en 2022 ne suffit pas à réchauffer les relations.

D'autant que Bamako s'est trouvé des alliés: le Burkina Faso voisin, théâtre de deux coups d'Etat en 2022, le dernier perpétré par le capitaine Ibrahim Traoré, et le Niger où le général Abdourahamane Tiani a pris les rênes en juillet 2023, là aussi par un putsch. Pour la Cedeao c'est le coup d'Etat de trop. Elle prend des sanctions contre Niamey et menace aussi pendant plusieurs semaines d'intervenir militairement pour rétablir le président déchu Mohamed Bazoum dans ses fonctions.

De quoi crisper pour de bon les régimes sahéliens qui ont fait de la souveraineté un point cardinal de leur gouvernance et accusent la Cedeao d'être inféodée à la France, ex-puissance coloniale à laquelle ils ont tous tourné le dos. En janvier ils ont tous trois annoncé quitter l'organisation, et ont acté samedi leur divorce en s'alliant au sein de la confédération de l'AES, malgré la levée des sanctions contre Niamey en février. Les textes de la Cedeao prévoient un délai d'un an pour entériner la sortie d'un pays membre.

Quel impact sur les populations ?

Dimanche, la Cedeao a mis en garde contre "l'isolement diplomatique et politique" des pays de l'AES et la perte de millions d'euros d'investissements. Autre inquiétude: l'aggravation de l'insécurité dans cette région en proie à des violences jihadistes récurrentes. Les pays de l'AES ont longtemps reproché à la Cedeao de ne pas assez les aider, et ont monté en mars leur propre force commune.

Mais la conséquence la plus concrète pourrait concerner la libre circulation des biens et des personnes dans la région. Dimanche, le chef de la Commission de la Cedeao, Omar Alieu Touray, a prévenu que les ressortissants des pays de l'AES pourraient à l'avenir devoir demander des visas pour voyager dans le reste de la région et rencontrer des obstacles à la libre création d'entreprises.

Pour le juriste et analyste politique nigérien Mahaman Bachar, cette menace ne suffira pas à freiner "la volonté de l'AES de s'éloigner de la Cedeao" et "la réciprocité" pourrait être imposée par les pays sahéliens. "Ce serait les prémices de la dislocation de la Cedeao, et contraire aux idéaux de l'Union africaine", abonde l'expert en finances nigérien Boubacar Kado.

La rupture est-elle irréversible?

Samedi, le général Tiani a été plutôt clair sur le sujet: "Nos peuples ont irrévocablement tourné le dos à la Cedeao", a-t-il lancé. Les trois pays de l'AES - bien que privés d'accès la mer – semblent convaincus de pouvoir se suffire à eux-mêmes, en mutualisant leurs moyens dans la plupart des secteurs clés de leurs économies.

Du côté de la Cedeao, pas question pour autant d'abdiquer. Le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye, fraîchement élu sur une ligne antisystème et souverainiste et qui a visité le Burkina et le Mali en mai, a été désigné dimanche comme médiateur auprès de l'AES. Il a appelé à "travailler à rapprocher les positions" et à "tout faire pour éviter le retrait des trois pays frères".

"Diomaye Faye a la fraîcheur d'un nouvel élu et certaines accointances (avec les régimes AES) en termes de révolution et de changement. Il reste une infime chance, mais la tendance est à la rupture", estime l'analyste politique ivoirien Arthur Banga.

"Je pense que les négociations ne vont plus porter sur le retour à la Cedeao, mais plutôt sur comment sauver les meubles, comment établir des relations mutuellement respectueuses" entre Cedeao et AES, prédit M. Bachar.

La Cedeao peut-elle survivre ?

Lors de son sommet de dimanche, l'organisation ouest-africaine a reconnu le risque de "désintégration" qu'elle encourt. Burkina, Niger et Mali représentent 72 millions d'habitants, quasiment un cinquième de la population actuelle du bloc régional.

"La Cedeao a déjà connu des départs par le passé, comme la Mauritanie" en 2000, souligne M. Banga. Mais "même à 12 pays, elle reste puissante notamment avec le Nigeria, pays le plus peuplé d'Afrique, ou encore la Côte d'Ivoire et le Sénégal", d'importantes économies de la région, tempère-t-il.

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