A l'Institut africain d'informatique, l'IAI, en grève illimitée depuis un mois, on "a du mal à voir un futur radieux", selon l'un d'eux à Libreville.
En 1971, année de création de cette école panafricaine, l'optimisme était de mise: pour la première fois, une école internationale allait rassembler des étudiants de onze pays africains autour d'un même objectif, apprendre l'informatique.
Mais "les choses ne se sont pas passées comme on voulait", raconte Oumarou, étudiant tchadien de 39 ans, dont 10 entre les murs de l'Institut. "En Afrique, ça commence toujours bien, et puis on met de la politique dedans, on met d'autres choses, et là, ça ne va plus".
Pendant un temps, les voyants sont pourtant au vert: en 1999, une antenne est créée au Cameroun, en 2001, au Niger, et en 2002, au Togo.
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Et malgré les "soucis", Oumarou reste fier: "l'IAI, c'est une école qui a formé une grande majorité des cadres africains en informatique, l'étiquette IAI a une valeur!", sourit ce fou d'informatique et père de trois garçons dont deux s'appellent... Bill Gates et Steve Jobs, les fondateurs de Microsoft et Apple.
Mais aujourd'hui, alors qu'il a présenté son mémoire de fin de masters début 2018, il attend toujours ses résultats. Il veut enfin finir sa scolarité, mais la poisse semble lui coller à la peau: l'école est de nouveau paralysée.
Les enseignants exigent le versement de leurs salaires non payés depuis huit mois, le personnel réclame le départ de la directrice générale en place, et les étudiants de meilleures conditions de logement.
Devant la grille de l'établissement, des barricades ont été montées, et les portes d'accès aux bureaux scellées. "On ne laisse personne entrer, trop, c'est trop", explique un des quelque 350 étudiants de l'Institut.
Il raconte comment ses camarades fraichement arrivés du Congo, du Tchad ou du Niger sont "assis" depuis la rentrée d'octobre qui n'a en fait pas eu lieu.
Les étudiants passent le temps en jouant au basket ou au football, loin des claviers et des écrans d'ordinateurs.
"Depuis que je suis arrivé à l'IAI en 2006, l'école n'a jamais eu de bon manager, alors il y a les grèves, beaucoup", affirme Oumarou, las, qui avait rejoint l'IAI des rêves plein la tête, après une brève carrière dans le commerce de motos à Moundou, dans le sud du Tchad.
La grève qui a commencé début 2018 a un goût amer pour les professeurs: "on a huit mois d'arriérés, et on a appris que la directrice et le directeur financier gagnaient respectivement 7 et 5 millions de francs (CFA) par mois", soit 10.000 et 7.500 euros, dit, médusé, Roger Noussi, professeur depuis vingt-sept ans et délégué adjoint des enseignants.
"Les précédents ne gagnaient pas ça. C'est hors de toute procédure conventionnelle", ajoute-il, indiquant avoir un salaire d'1,5 million de francs (2.300 euros).
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"Les chiens aboient, la caravane passe", répond la directrice nigérienne, Binta-Fatouma Kalme, arguant que "pour ne pas être corrompue, il faut être bien payée!"
Dans les vieux bâtiments de l'IAI, hérités d'un ancien camp de réfugiés de la guerre du Biafra, son salaire laisse pantois: "C'est du népotisme: nous sommes au neuvième mois de salaires impayés, où est l'argent des salaires? L'argent rentre dans les caisses pourtant, c'est du détournement!", râle Axel Mbina Gueniche, délégué gabonais du personnel de l'Institut.
L'IAI fonctionne aux frais des Etats membres, chacun devant payer 2,5 millions de FCFA par an par étudiant envoyé. En 2017, il a engrangé près de 450 millions de FCFA de frais de scolarité, selon un document interne.
Mais l'établissement a aussi près de 3 milliards de créances auprès des Etats membres, dont 580 millions du Congo, 434 du Tchad, et 312 du Niger. Certains Etats ne paient plus ou peu les bourses des étudiants qu'ils envoient.
"C'est pour ça que ça ne marche pas. Dans une école normale, quand on ne paie pas ses frais, on doit partir", peste Mme Kalme, qui veut "changer le modèle économique" et a bien essayé, sans succès, de renvoyer fin 2017 des étudiants congolais car Brazzaville ne payait plus les bourses.
"Nous avons honte de recevoir des étudiants de partout en Afrique dans des conditions pareilles", rajoute Mbina Gueniche.
"Ce serait bien que l'IAI puisse renaitre de ses cendres", veut croire une employée, qui ajoute: "mais si les Etats ne veulent plus de l'IAI, il faut qu'ils s'asseyent comme au premier jour et discutent de fermer l'école".
"Je ne sais pas comment on fera pour corriger l'image d'IAI, c'est triste", regrette Oumarou, comme si l'Institut appartenait déjà au passé.
Avec AFP