Alors que le président gambien Yahya Jammeh a déclaré samedi 12 décembre que son pays, une ex-colonie britannique de près de 2 millions d'habitants, était désormais un "Etat islamique", un responsable de l'opposition a qualifié cette décision d'"inconstitutionnelle".
Ousainou Darboe, secrétaire général du Parti démocratique uni (UDP), la principale formation de l'opposition gambienne, est une des rares personnalités à avoir accepté de s'exprimer sur cette décision, dont la révélation a pris tout le monde de court, beaucoup déclinant tout commentaire.
"La déclaration du président Yahya Jammeh est inconstitutionnelle, elle n'a aucun fondement constitutionnel", elle est "illégale", a affirmé à l'AFP M. Darboe.
"Les parlementaires devraient le condamner pour avoir fait cette déclaration", et lui-même "devrait présenter des excuses aux Gambiens" pour des propos inconsidérés, a-t-il ajouté. "Cela devient ridicule qu'il attaque le colonialisme chaque fois qu'il veut détourner l'attention de ce qui se passe dans le pays", a-t-il conclu.
Les droits des chrétiens respectés
Le président Jammeh, dont les propos ont été tenus jeudi lors d'une réunion publique à Brufut (25 km de Banjul) et rapportés samedi par la présidence et la télévision publique gambiennes, n'a pas précisé les modifications que ce changement de statut implique concrètement pour son pays. Il a cependant demandé à ce que les droits des chrétiens soient respectés et qu'aucune contrainte vestimentaire ne soit imposée aux femmes en Gambie.
"Le destin de la Gambie est dans les mains d'Allah le Tout-Puissant. A partir d'aujourd'hui, la Gambie est un Etat islamique. Nous serons un Etat islamique qui respecte les droits des citoyens", a-t-il affirmé, selon ses propos mis en ligne par la présidence sur son site (www.statehouse.gm).
Dans une déclaration à la télévision publique gambienne GRTV dont l'AFP a écouté un enregistrement samedi, il a expliqué que ce changement de statut de l'Etat ne modifierait pas les relations entre les musulmans, représentant environ 90 % de la population, et les chrétiens, estimés à environ 8 % (les autres étant considérés comme des adeptes de religions traditionnelles).
"Nous serons un Etat islamique qui respectera les droits de tous les citoyens" de ce pays de 1,96 million d'habitants, a insisté M. Jammeh sur la GRTV dans une émission diffusée dans la nuit de vendredi à samedi.
"Accepter la religion d'Allah comme religion, comme votre mode de vie est non négociable. Permettez-moi de dire très clairement que cela ne signifie pas que les chrétiens ne devront pas avoir leur pratique religieuse. Les chrétiens devront être respectés comme il se doit. La manière de célébrer Noël sera maintenue", a-t-il précisé.
Pas de violence envers les femmes
Il a aussi mis en garde contre toute violence envers les femmes en raison de leur tenue vestimentaire: "Je n'ai nommé personne comme policier islamique. La manière dont les femmes s'habillent ne vous concerne pas. (...) Vous ne devriez pas lui indiquer comme elle doit s'habiller, parce que cela ne vous regarde pas".
Yahya Jammeh, 50 ans, militaire de carrière issu d'une famille paysanne de l'ouest du pays, cultive l'image d'un président musulman pratiquant - il apparaît régulièrement Coran et chapelet en main - et doté de pouvoirs mystiques.
La Gambie est devenue indépendante de la Grande-Bretagne en 1965 au sein du Commonwealth avec comme Premier ministre Sir Dawda Jawara, puis une République en 1970 sous la présidence de Jawara qui a été renversé en 1994 par un coup d'Etat militaire dirigé par Yahya Jammeh.
M. Jammeh a ensuite été élu pour la première fois en 1996 puis réélu trois fois (en 2001, 2006 et ensuite en novembre 2011 avec 72 % des voix). Depuis, il règne en maître sur son pays, enclavé dans le Sénégal à l'exception de sa façade maritime.
En octobre 2013, il a annoncé le retrait, avec effet immédiat, de la Gambie du Commonwealth en qualifiant cette organisation de pays anglophones de "coloniale".
En mars 2014, dans un discours lors d'une cérémonie publique, Yahya Jammeh avait indiqué que son pays allait abandonner l'anglais, actuellement sa langue officielle, au profit d'une langue nationale non précisée, sans fournir de calendrier. Une annonce demeurée pour l'heure sans effet.
Il a fait adopter en 2002 un amendement constitutionnel supprimant la limite du nombre de mandats. Son régime est régulièrement critiqué par des défenseurs des droits de l'Homme pour des violations des libertés.
Avec AFP