Ahmed Husein, 34 ans, a été abattu mercredi soir par des hommes non identifiés alors qu'il rentrait chez lui en voiture à Accra, selon la police. Le journaliste a reçu des balles à la poitrine et au cou.
Il faisait partie de l'équipe de reporters infiltrés dirigée par le célèbre journaliste Anas Aremeyaw Anas, qui a fait éclater l'an dernier un scandale de corruption et de matchs truqués, conduisant à de lourdes sanctions des instances internationales de football.
L'Institut international de la presse (IPI), qui regroupe des éditeurs et journalistes de plus de 120 pays, ainsi que le Comité pour la protection des journalistes, ont appelé le gouvernement ghanéen à "enquêter rapidement" sur ce crime et à "traduire les assassins en justice".
"L'assassinat brutal de Husein souligne les graves menaces auxquelles sont exposés les journalistes, en particulier ceux qui s'attaquent à la corruption et aux abus de pouvoir", a notamment dénoncé dans un communiqué un porte-parole de l'IPI basé à Viennes, Ravi R. Prasad.
Même indignation du côté de l'Association des journalistes du Ghana, qui a appelé le chef de l'Etat Nana Akufo-Addo à "se saisir personnellement" de l'affaire, évoquant "un signal inquiétant indiquant que les médias sont sérieusement attaqués".
Les assassinats de journalistes sont rares au Ghana, pays souvent salué pour son dynamisme démocratique dans une région turbulente, et classé 23e sur 180 pays dans l'indice mondial 2018 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières (RSF).
- Héros anti-corruption -
Le président Akufo-Addo a dans la foulée condamné un "crime odieux". "J'attends de la police que les auteurs (...) soient arrêtés dans les plus brefs délais", a-t-il déclaré dans un communiqué.
"Une enquête de grande envergure" a été ouverte pour faire la lumière sur cet affaire, avait annoncé plus tôt à l'AFP la directrice du Département des enquêtes criminelles au Ghana, Maame Yaa Tiwaa Addo-Dankwa. "Nos hommes sont en ce moment sur le terrain pour récolter des renseignements".
"Triste nouvelle, mais nous ne serons pas réduits au silence. Repose en paix, Ahmed", a réagi sur Twitter le principal auteur de l'enquête sur le foot, Anas Aremeyaw Anas, rendant hommage à un "excellent journaliste d'investigation expérimenté".
Anas, qui dissimule son apparence pour des raisons de sécurité et a lui aussi reçu des menaces de morts à plusieurs reprises, est considéré dans son pays comme le "super-héro anti-corruption" qui s'est donné pour mission de sauver l'Afrique de ces pratiques "meurtrières".
"Number 12", son documentaire explosif sorti en juin 2018 et dans lequel le journaliste assassiné a joué un rôle clé, piégeait des dizaines d'arbitres ghanéens et du continent ainsi que plusieurs dirigeants de la Fédération ghanéenne, dont son président, en leur proposant des pots-de-vin.
Après le scandale, plus de 50 arbitres africains ont été suspendus par la Confédération africaine de football (CAF).
Le président de la fédération ghanéenne, Kwesi Nyantakyi, avait été filmé avec des "investisseurs" potentiels (des journalistes infiltrés) à qui il faisait miroiter de juteux contrats avec le gouvernement ghanéen, en échange de plusieurs millions de dollars. Il a démissionné de ses fonctions, après avoir été suspendu pour trois mois par la Fédération internationale de Football (Fifa).
- "Tabassez-le" -
Or, le journaliste assassiné avait récemment déposé plainte après qu'un député du parti au pouvoir - le Nouveau parti patriotique (NPP) - cité dans le documentaire, eut diffusé sa photo à la télévision, promettant une récompense à qui le passerait à tabac.
"Si vous le rencontrez quelque part, cassez-lui les oreilles (...), tabassez-le. Quoi qu'il arrive je vais payer", avait déclaré Kennedy Agyapong lors d'une émission diffusée l'an dernier sur une chaîne privée.
L'avocat d'Ahmed Husein a qualifié jeudi ces propos de "criminels", et dénoncé l'absence de réaction des autorités face aux menaces dont son client avait fait l'objet.
"Vous devez être tenu responsable si vos actions ou inactions aboutissent à un crime. C'est écoeurant (...) et irresponsable", a déclaré à l'AFP Me Kissi Agyabeng.
Le député, qui est aussi un riche homme d'affaires réputé intouchable au Ghana, s'est défendu jeudi de toute responsabilité, affirmant que le journaliste ne l'avait "jamais offensé".
"Ils devraient aller enquêter sur ceux qu'il a offensé, pas moi. Lui et son patron ont offensé tellement de gens dans ce pays. Le mal qu'ils ont fait les poursuit", a affirmé Agyapong sur une radio locale.