La jeune femme de 25 ans faisait partie des milliers de femmes de la minorité yazidie capturées lors de l'offensive de l'EI dans le nord-est de l'Irak en 2014. Elle a été réduite pendant plusieurs mois à l'esclavage sexuel aux mains des djihadistes sunnites, avant de pouvoir s'échapper.
Elle a reçu vendredi le prix Nobel, conjointement avec le médecin congolais Denis Mukwege pour leur lutte contre les violences sexuelles en tant qu'arme de guerre.
"Pour moi, la justice n'est pas de tuer tous les membres de Daech qui ont commis ces crimes contre nous", a-t-elle expliqué lors d'une conférence de presse à Washington, en utilisant l'acronyme arabe de l'EI.
"La justice, c'est de mener les membres de Daech devant un tribunal et les voir, devant la cour, admettre les crimes qu'ils ont commis contre les Yazidis et qu'ils soient punis pour ces crimes", a-t-elle dit.
Depuis la contre-offensive lancée par une coalition internationale menée par les Etats-Unis, le territoire contrôlé par l'EI en Syrie et en Irak a fondu et de nombreux djihadistes ont été tués dans les combats. Ceux qui ont été capturés en Irak sont généralement jugés pour terrorisme.
Mais d'autres combattants "ayant commis des crimes sont probablement libres dans les zones libérées et vivent au sein de la population civile", a souligné Nadia Murad.
- Un voyage avec Macron -
Aujourd'hui ambassadrice de l'ONU pour la dignité des victimes du trafic d'êtres humains, Mme Murad, dont six frères et la mère ont été tués par l'EI, milite désormais pour que les persécutions commises contre les Yazidis soient considérées comme un génocide.
"J'appelle tous les gouvernements à se joindre à moi pour combattre le génocide et les violences sexuelles", a-t-elle dit. "Nous devons collaborer avec détermination pour mettre fin au génocide, pour que les auteurs de ces crimes rendent des comptes et pour rendre justice aux victimes, particulièrement dans le cas des viols systématiques commis par Daech et d'autres groupes".
En tant qu'Irakiens non-arabes et non-musulmans, les Yazidis sont depuis longtemps l'une des minorités les plus vulnérables du pays. Cette minorité kurdophone adepte d'une religion ésotérique monothéiste est dépourvue de livre sacré et organisée en castes.
"L'avenir reste inconnu pour la communauté yazidie", a affirmé Nadia Murad, alors que près de 3.000 femmes et enfants restent prisonniers des djihadistes et que de nombreux habitants de la région montagneuse de Sinjar vivent encore dans des camps de réfugiés.
Elle a dit espérer que le nouveau gouvernement irakien "sera bientôt en place et que nous pourrons travailler avec lui pour s'assurer que les zones qui ont le plus souffert soient reconstruites et que les gens puissent rentrer chez eux".
La jeune femme, qui lutte désormais contre les violences sexuelles dans les conflits, est retournée dans le Sinjar en mai. "Notre région est toujours détruite, le président français (Emmanuel) Macron, que j'avais vu en octobre l'année dernière, m'avait promis de la visiter avec moi et nous prévoyons toujours de faire ce voyage", a-t-elle confié.
Interrogée sur le mouvement #MeToo contre le harcèlement et les agressions sexuelles, né aux Etats-Unis il y a un an, Nadia Murad a dit espérer que les femmes qui révèlent avoir subi des abus sexuels "soient entendues et acceptées, et qu'elles se sentent assez en sécurité pour en parler".
Avec AFP