"En Centrafrique, une victime a été violée par deux soldats, sous le regard d'autres soldats qui, je cite, "criaient de joie', et a ensuite été violée par quatre soldats, puis la victime s'est évanouie, avant d'être violée ensuite par d'autres soldats à son réveil, douze au total", rappelle Sylvia Steiner, juge de la Cour pénale internationale lors de la dernière audience de l'ancien président congolais Jean-Pierre Bemba.
Mardi, la Chambre de la Cour pénale internationale a déclaré Jean-Pierre Bemba coupable et condamné à 18 ans d'emprisonnement, moins les années de détention déjà effectuée.
La juge a insisté sur le fait que l'ancien chef militaire a échoué a exercer un contrôle effectif sur son armée privée envoyée en République centrafricaine en octobre 2002, où ses hommes ont violé, tué et pillé avec une "cruauté particulière".
Sylvia Steiner a souligné que le chef militaire avait fait "davantage que de tolérer les crimes en tant que commandant". "L'échec de M. Bemba à prendre des mesures avait délibérément pour objectif d'encourager ces attaques menées contre la population civile", a-t-elle estimé.
Arrêté en 2008, le condamné a déjà passé 8 années en prison. Il aura donc 10 ans à purger. Pour rappel, l'accusation avait demandé 25 années d'emprisonnement.
La majorité des juges ont reconnu tous les viols perpétrés par les soldats de la MLC (Mouvement de libération du Congo) en Centrafrique, utilisés comme armes de guerre d'une "grande cruauté", ce qui a constitué "une circonstance aggravante".
Les pillages ont également été reconnus et condamnés tout aussi sévèrement car ces actes étaient très souvent accompagnés par "des meurtres et des viols" de familles entières.
Jean-Pierre Bemba, le chef militaire
Riche homme d'affaires devenu chef de guerre, Jean-Pierre Bemba a été déclaré coupable le 21 mars de la vague de meurtres et de viols commis par sa milice en Centrafrique entre octobre 2002 et mars 2003.
Quelques jours avant que la peine ne soit prononcé, l'équipe de défense de M. Bemba avait annoncé son intention de faire appel de ce verdict et a demandé la cassation du procès.
D'après l'avocat Peter Haynes, M. Bemba, dont les droits en tant qu'accusé "n'ont été à aucun moment respectés", a été reconnu coupable "sur base de spéculations" dans une "affaire qui était profondément incohérente, invraisemblable dans les faits, et basée sur une évaluation sélective et souvent imparfaite des preuves".
À noter, "aucune circonstance atténuante" n'a été retenue par la Cour.
Son parti dénonce une "justice sélective"
La condamnation de l'ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba à 18 ans de prison pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité par la Cour pénale internationale est le résultat d'une "justice sélective", a dénoncé mardi à Kinshasa le parti de M. Bemba.
Le Mouvement de libération du Congo (MLC) "ne cessera jamais de dénoncer la justice sélective de la Cour pénale internationale (...) et la politisation à outrance" de cette institution, a réagi sa secrétaire générale, Ève Bazaiba, après l'annonce de la peine infligée à M. Bemba.
Mme Bazaiba s'exprimait devant la presse au siège du MLC, où près de deux cents militants ont suivi dans un grand silence la retransmission du jugement de la cour de La Haye sur écran géant.
"Nous ne cesserons jamais de rappeler que les victimes des exactions en République centrafricaine ont droit de connaître les véritables auteurs de ces crimes. On ne peut pas laisser les véritables auteurs et s'acharner sur la personne de Jean-Pierre Bemba. Ça c'est une justice discriminatoire", a-t-elle ajouté.
"J'ai un sentiment d'amertume envers la CPI", a déclaré à l'AFP Daddy Kondo, militant du MLC, accusant la cour d'agir par "néocolonialisme".
"Moi, je ne crois plus à cette Cour", a dit un autre, Jean Faustin Isenge, pour qui toute cette affaire s'apparente à "un procès de la honte" car, selon lui, "les auteurs du conflit [les anciens présidents centrafricains Patassé et François Bozizé] ne sont pas inquiétés".
Amnesty international satisfait de la condamnation
"L'arrestation, la condamnation et le verdict visant Jean-Pierre Bemba adressent un signal fort : ceux qui commettent des crimes relevant du droit international seront au bout du compte tenus pour responsables de leurs actes", a déclaré Stephen Cockburn, directeur régional adjoint pour l'Afrique centrale et de l'Ouest à Amnesty International.
"Cela fait aussi clairement savoir que l'impunité pour les violences sexuelles utilisées comme arme de guerre ne sera pas tolérée et que les commandants militaires doivent prendre toutes les mesures nécessaires afin d'empêcher leurs subordonnés de commettre de tels crimes. S'ils s'en abstiennent, ils auront des comptes à rendre."
N.P.