"Je suis très content de faire cette expo, je me retrouve à 500 mètres de l'endroit où je suis né", dit Jean Pigozzi de sa voix de basse. "Je fréquentais le bowling qui était à l'emplacement de la Fondation Vuitton, et le Jardin d'acclimatation, avec les singes aux fesses roses".
Son père, l'industriel turinois Enrico Teodoro Pigozzi fonda en 1935 la marque d'automobiles Simca. Licencié lors du rachat de la société par Chrysler en 1963, il meurt peu de temps après d'une crise cardiaque, laissant un confortable héritage à ses enfants, Jean et Catherine, journaliste proche du pape François.
Âgé de 65 ans, Jean Pigozzi a eu plusieurs existences.
Dans les années 70, ce colosse tout en rondeurs s'installe à Los Angeles, fréquente la jet set et cotoie les stars avec lesquelles il se prend en photo. A-t-il inventé le selfie comme l'assure la légende ? Difficile à dire mais il est certainement un des premiers à l'avoir pratiqué avec de multiples célébrités, de John Belushi à Catherine Deneuve. Au point d'en faire des livres où il publie aussi des photos des fêtes organisées dans la sompteuse villa de famille du Cap d'Antibes.
Mais la grande affaire de sa vie est la collection d'art africain contemporain qu'il a constituée à partir de 1989. Le déclic est venu de l'exposition "Les Magiciens de la Terre" au Centre Pompidou, dévolue aux arts contemporains non occidentaux. "Je suis allé la voir le dernier jour, juste avant la fermeture, les gardiens me poussaient vers la sortie". Jean Pigozzi est séduit.
Cap sur le Japon
"J'étais collectionneur comme un notable de province. J'avais un petit Wahrol, un petit Schnabel, une petit Sol LeWitt... Ce n'était pas une collection intéressante", confie Jean Pigozzi. "Charles Saatchi (grand collectionneur britannique) m'avait dit +il faut que tu te spécialises+".
Il s'adresse alors au commissaire adjoint des "Magiciens de la Terre" André Magnin. Pendant vingt ans, ce fin connaisseur de l'art africain va parcourir le continent pour constituer la collection Pigozzi. Résultat : 10.000 pièces récoltées et quelque 200 expositions sur tous les continents.
"Il n'y a pas de connexion entre tous ces artistes, mais ils avaient trois points communs: ils étaient vivants, ils habitaient en Afrique et ils étaient noirs. Ceux qui ont émigré, je ne les collectionne plus", dit-il. Quant à la provenance, c'est "vaguement Afrique francophone. Le plus grand pays pour moi, c'est le Congo", assure Jean Pigozzi qui ne s'est pourtant jamais rendu dans un continent dont il redoute les dangers.
"C'est difficile d'être un artiste en Afrique. J'étais leur seul client", raconte volontiers Jean Pigozzi. "Certains devaient avoir un deuxième boulot pour nourrir leur famille. Souvent ils n'avaient tout simplement pas de quoi peindre. Il y a des problèmes de transport, d'emballage des oeuvres, les cadres infestés, les tableaux collés parce que la peinture n'est pas sèche..."
"Même aujourd'hui, si Pompidou ne donnait 10 millions d'euros pour constituer une collection, ça serait très compliqué", ajoute-t-il.
S'il n' a pas renoncé à l'art africain, Jean Pigozzi s'est lancé il y a six ans dans une nouvelle aventure: les jeunes artistes japonais. "Personne ne les connaît, il n'y a pas un livre sur l'art contemporain japonais". Mais contrairement à l'Afrique, il se rend régulièrement au Japon.
Il fréquente aussi le Panama où il possède une île couverte de forêt primaire. "J'ai un centre de recherches sur les plantes, le climat, avec des scientifiques du MIT, de Harvard". Sa dernière idée, réunir dans ce lieu des chercheurs et des artistes.
Avec AFP