Cette mission, approuvée en octobre par le Conseil de sécurité de l'ONU, a connu plusieurs contretemps en raison de l'instabilité qui règne en Haïti et de recours en justice au Kenya, où le choix du gouvernement suscite critiques et inquiétudes. A l'origine d'une précédente plainte, les dirigeants du parti d'opposition "Alliance troisième voie" ("Thirdway alliance"), Ekuru Aukot et Miruru Waweru, ont déposé jeudi une nouvelle requête devant la Haute Cour de Nairobi.
Ils invoquent un "outrage au tribunal", affirmant que le gouvernement s'apprête à concrétiser l'opération, que ce même tribunal avait jugée "inconstitutionnelle, illégale et invalide" le 26 janvier. "Les requérants sont informés de manière fiable que le déploiement peut être effectué à tout moment à partir de maintenant, mais au plus tard le 23 mai 2024, d'où l'urgence de cette requête", soulignent-ils dans leur recours. Une source gouvernementale haïtienne avait indiqué début mai à l'AFP qu'un premier contingent de 200 policiers kényans devait arriver le 23 mai.
Le gouvernement kényan reste silencieux sur le sujet mais une source au ministère de l'Intérieur a indiqué à l'AFP, sous couvert d'anonymat, que de premiers policiers "doivent arriver là-bas (en Haïti) en début de semaine prochaine". Ce déploiement coïnciderait avec la visite d'Etat du président William Ruto aux Etats-Unis, soutien financier et logistique majeur de cette mission.
"Mission suicide"
Le Kenya a accepté de prendre la tête de cette mission multinationale réclamée par les autorités haïtiennes, l'ONU et la communauté internationale mais à laquelle de nombreux pays n'ont pas souhaité participer. Nairobi s'est dit prêt à envoyer jusqu'à un millier de policiers. D'autres pays doivent également contribuer à cette force (Bénin, Bahamas, Bangladesh, Barbade, Tchad...).
Cette décision a suscité de vives critiques dans ce pays d'Afrique de l'Est, où ses détracteurs la jugent dangereuse et inconstitutionnelle. M. Aukot a notamment qualifié l'opération de "mission suicide". En janvier, la Haute Cour de Nairobi l'avait invalidée, rappelant que le Conseil national de sécurité ne pouvait déployer des policiers dans un pays étranger sans un accord bilatéral.
Le président William Ruto et le Premier ministre haïtien Ariel Henry avaient signé un accord le 1er mars à Nairobi. Mais quelques jours plus tard, ce dernier, empêché de regagner Haïti où les gangs avaient mené des attaques coordonnées contre des sites stratégiques, a annoncé qu'il allait quitter le pouvoir. Le pays est désormais dirigé par un conseil de transition, qui doit former un gouvernement et nommer un Premier ministre.
"Aucune demande formelle de déploiement n'a été faite par le gouvernement d'Haïti pour le déploiement de policiers en Haïti ; il n’y a pas de gouvernement en place en Haïti capable de faire une telle demande ou signer un accord bilatéral avec le Kenya pour le déploiement de policiers en Haïti; et il n'y a pas de Parlement en place en Haïti pour ratifier un tel accord", font valoir MM. Aukot et Waweru dans leur recours.
Crise humanitaire
Pays pauvre des Caraïbes, Haïti souffre depuis des dizaines d'années d'une instabilité politique chronique. La première priorité du conseil de transition sera "le rétablissement de la sécurité publique", a affirmé l'une de ses membres lors de la cérémonie d'investiture le 25 avril.
La capitale Port-au-Prince est à 80% aux mains des bandes criminelles, accusées de nombreuses exactions, en particulier meurtres, viols, pillages et enlèvements contre rançon. La population est confrontée à une grave crise humanitaire, avec des pénuries de nourriture, de médicaments et d'autres produits de base.
"Depuis le 29 février, plus de 90.000 personnes ont été forcées de se déplacer à l'intérieur de Port-au-Prince tandis que près de 95.000 autres ont quitté la zone métropolitaine de Port-au-Prince pour d'autres localités du pays", soulignait l'agence humanitaire de l'ONU (Ocha) dans un rapport le 9 mai.
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