"J'ai peur, je crains que le M23 arrive à Goma, il faut que l'armée repousse les rebelles", s'inquiète auprès de l'AFP Charlotte Kavira, vendeuse d'une trentaine d'années, à l'instar de nombreux habitants de la ville, où des renforts policiers sont visibles aux carrefours stratégiques. D'autres restent cependant confiants, poursuivent normalement leurs activités et, comme Muinguko Tulinabo, motard, considèrent que "la guerre est encore loin".
"Des soupçons se cristallisent sur un soutien qu'aurait reçu le M23 de la part du Rwanda", déclarait mercredi soir le porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya, au sortir d'une réunion de crise autour du Premier ministre.
Au même moment à Malabo, où étaient réunis les ministres des Affaires étrangères en prélude à deux sommets de l'Union africaine prévus en fin de semaine en Guinée équatoriale, le chef de la diplomatie congolaise, Christophe Lutundula, n'a pas mâché ses mots: "le Rwanda, je le dis sans hésitation, a attaqué le camp de Rumangabo", importante base des forces armées de RDC (FARDC) à une quarantaine de km au nord de Goma.
Selon des sources locales, des combats se sont poursuivis jeudi aux abords de ce camp, qui abrite le quartier général du parc national des Virunga, célèbre pour ses gorilles de montagne. "Le M23 soutenu par le Rwanda a attaqué les troupes internationales" de l'ONU, a poursuivi le ministre, selon une vidéo mise en ligne par ses services. "C'est le summum de l'outrecuidance, nous ne pouvons pas rester indifférents, nous ne pouvons pas ne rien dire", a-t-il ajouté.
L'armée congolaise avait auparavant affirmé que "plus de 20 obus" venus de "l'Est" étaient tombés en territoire congolais, où des effets militaires dont les rebelles du M23 ne sont pas censés être équipés avaient par ailleurs été découverts. Elle ajoutait avoir demandé une enquête au Mécanisme de vérification conjoint élargi (MCVE), un organisme régional qui surveille et mène des enquêtes sur les incidents de sécurité dans la région des Grands Lacs.
"Discours de haine"
Ancienne rébellion tutsi, le M23, pour "Mouvement du 23 mars", avait brièvement occupé Goma fin 2012 avant d'être vaincu l'année suivante par l'armée congolaise. Il est réapparu en fin d'année dernière, en reprochant aux autorités de Kinshasa de ne pas avoir respecté des engagements sur la démobilisation de ses combattants.
Lundi, c'était le Rwanda qui demandait une enquête au MCVE, affirmant que des roquettes venues de RDC avaient fait plusieurs blessés en territoire rwandais. Dans une déclaration de sa porte-parole Yolande Maloko transmise à l'AFP, le gouvernement rwandais a réfuté les accusations congolaises. "Alors qu'il serait légitime que le Rwanda réponde aux attaques répétées des FARDC sur son territoire, il n'est pas impliqué dans les combats en cours", affirme Kigali, en qualifiant ces affrontements de "conflit intra-congolais".
Les relations entre Kinshasa et Kigali sont tendues depuis le génocide au Rwanda en 1994, avec l'arrivée massive en RDC de Hutu rwandais accusés d'avoir massacré les Tutsi. Elles s'étaient apaisées après l'arrivée au pouvoir, début 2019, de Félix Tshisekedi, mais la résurgence du M23 a ravivé les tensions.
Depuis mardi, un nouveau front a été ouvert, lorsque des combats ont éclaté autour de Kibumba, à une vingtaine de km au nord de Goma, provoquant de nouveaux déplacements de populations et la coupure de la RN 4, vitale pour l'approvisionnement de la ville. La région de Kibumba était calme jeudi mais la route demeurait fermée.
Dans la ville, la tension était montée d'un cran mercredi quand un haut responsable de la police, le général François-Xavier Aba van Ang, a encouragé les habitants à préparer leurs machettes pour se défendre. "La guerre contre l'ennemi doit devenir populaire", disait-il en lingala lors d'une parade de policiers.
Des organisations de défense des droits de l'Homme se sont émues de ces propos, dans une région ultrasensible où cohabitent difficilement certaines communautés. Sur Twitter, le porte-parole du gouvernement a lui aussi estimé que "le recours aux machettes, au discours de la haine, à la stigmatisation, est extrêmement dangereux et à bannir".