Soutenue publiquement par Washington et mezzo voce par Paris, rejetée par Berlin, cette idée a le mérite de la simplicité apparente.
Evoquée sans détail cet été par les présidents serbe et kosovar Aleksandar Vucic et Hashim Thaçi, elle consisterait selon les médias locaux en un échange de territoires: la Serbie donnerait au moins en partie la vallée de Presevo (peuplée majoritairement d'Albanais), et récupérerait le secteur situé au nord de la ville divisée de Mitrovica, où est toujours stationnée une force internationale de maintien de la paix.
Long de 24 kilomètres et traversé par la frontière, le lac aux 370 millions de mètres cubes d'eau rappelle toutefois que rien n'est simple entre la Serbie et son ancienne province majoritairement albanaise dont Belgrade refuse de reconnaître l'indépendance.
La Serbie a perdu le contrôle du Kosovo lorsque des bombardements de l'Otan l'ont forcée à retirer ses troupes au terme d'un conflit contre une guérilla indépendantiste kosovare albanaise (1998-99, 13.000 morts). Selon les estimations, quelque 120.000 Serbes y demeurent et proclament toujours leur allégeance à Belgrade.
"Gazivode c'est tout pour nous. C'est notre propriété comme l'était le Kosovo", s'emporte Suzana Maksimovic, chômeuse de 54 ans qui vit à Mitrovica-nord, moitié serbe de la ville. "Les Serbes peuvent dire ce qu'ils veulent, mais le lac reste à nous", réplique, du côté sud de l'Ibar, Besim Musa, taxi albanais de 31 ans.
Dépendance énergétique
Gazivode, que les Kosovars albanais appellent Ujman, est pour les trois quarts en territoire kosovar mais dans un secteur majoritairement serbe où Pristina ne parvient pas à imposer sa souveraineté. Le lac est pourtant crucial pour l'indépendance énergétique et l'approvisionnement en eau du Kosovo.
"Gazivode montre de la meilleure des manières l'ampleur du problème auquel nous faisons face, nos divergences, nos âpres luttes politiques", disait Aleksandar Vucic lors d'une visite sur le lac le 9 septembre.
Pristina s'était opposé à cette venue avant de céder: "Il y a eu des pressions de l'Union européenne (...), nous n'avions pas le choix", avait expliqué le ministre kosovar des Affaires étrangères Behgjet Pacolli.
Trois semaines plus tard, Hashim Thaçi a répliqué par une séance photo d'une promenade en bateau sur le lac, suscitant la colère de Belgrade. "Une visite normale à une de nos beautés", a-t-il commenté.
Lors de la visite d'Aleksandar Vucic, les ouvriers du barrage l'avaient pavoisé d'un drapeau serbe. "Le droit de gérer Gazivoda appartient à la Serbie", dit à l'AFP Srdjan Vulovic, directeur de la compagnie "Ibar", société publique établie par Belgrade qui vend l'eau au Kosovo comme elle le faisait durant l'ère yougoslave.
- Infrastructure yougoslave -
Il relève que le barrage a été bâti dans les années 1970 et assure que "la totalité de l'emprunt, d'un montant d'environ 90 millions de dollars, a été remboursé par la République de Serbie".
Le chef des négotiateurs kosovars, Avni Arifi, prévient que lors de futures discussions, il considérerait "déplacé toute tentative de lancer un quelconque débat autour du lac". "C'est une ressource du Kosovo, (...) et nous ne parlons pas de nos ressources avec la Serbie", dit-il à l'AFP.
Le lac appartient "au territoire inaliénable d'un pays souverain", a renchéri le Premier ministre Ramush Haradinaj.
"Vucic et ses amis politiques en Serbie savent parfaitement" que ce lac "est le talon d'Achille du Kosovo" dont "l'indépendance et la stabilité (...) seraient remises en cause" s'il "devait revenir à la Serbie", assure Agon Dida, expert kosovar sur les questions d'énergie.
Il fournit l'eau nécessaire aux deux centrales à charbon Kosovo A et Kosovo B, qui produisent 95% de l'électricité kosovare.
"Sans Gazivode, le Kosovo serait privé d'électricité", admet Srdjan Vulovic. "Le Kosovo serait dans une situation de risque énergétique", dit Agon Dida. Faute de refroidissement, Kosovo A et Kosovo B devraient se mettre rapidement à l'arrêt, plongeant dans le noir 1,8 million de personnes.
Selon Ilir Abdullahu, directeur de la nouvelle usine d'assinissement d'eau qui a résolu la pénurie chronique d'eau à Pristina, le lac "est la seule alternative pour approvisionner" cette infrastucture. Quelque 700.000 habitants du sud de l'Ibar en dépendent.
Mais, relève Aleksandar Vucic, la dépendance est double: "Sans Gazivode, les gens de Zubin Potok et du Kolasin d'Ibar (secteurs serbes) ne pourront pas rester."
Avec AFP