Certains puristes se sont révoltés, dénonçant des atteintes à la tradition, d'autres ont défendu cette évolution, sans que le poids réel des deux camps dans la société saoudienne ne puisse être évalué.
Le prince héritier Mohammed ben Salmane, homme fort du pays, ainsi qu'un haut dignitaire religieux ont récemment estimé que le port de l'abaya n'était pas obligatoire dans l'islam. Mais aucune décision n'a changé la loi en vigueur.
En attendant, des créateurs et créatrices comme Eman Joharjy, une Saoudienne de 43 ans, profitent de la popularité croissante des abayas sportives. "Il y a une forte demande", dit-elle dans son studio de mode à Djeddah.
Semblable à une combinaison à fermeture éclair, elles enveloppent le corps de la femme mais offrent une plus grande mobilité pour les activités sportives, contrairement à la version "baggy" classique qui présente un risque si on court.
Les modèles d'Eman Joharjy se déclinent dans des couleurs comme le vert pistache, le beige et le blanc, plus supportable avec les chaleurs torrides du royaume. Elle défie ainsi une maxime populaire en Arabie Saoudite: "Si ce n'est pas noir, ce n'est pas une abaya."
Ces versions sportives sont taillées dans des tissus naturels, y compris de la popeline, qui ne s'accrochent pas à un corps en sueur.
- Femmes au marathon -
Eman Joharjy raconte avoir été considérée comme un phénomène social atypique quand elle a commencé à concevoir et à porter des abayas sportives publiquement en 2007. Certains l'avaient même surnommée "Batman".
"Je l'ai conçue pour moi, car c'est pratique", explique-t-elle.
Les abayas ont évolué au fil des ans, avec de nouveaux motifs, tissus et autres embellissements. Elles sont parfois portées dans le royaume avec des casquettes de baseball sur les voiles.
La dernière mode est un ensemble d'abayas sur le thème du football, aux couleurs des équipes locales, une façon pour les supportrices d'encourager leurs équipes.
Elles se sont développées après l'accès donné récemment aux femmes à certains stades du royaume, à la faveur d'un assouplissement des strictes restrictions qui leur sont imposées. Ces dernières pourront notamment conduire à partir du mois de juin.
Le gouvernement cherche également à relancer le sport féminin et s'oriente vers des cours d'éducation physique obligatoires pour les filles. Les autorités saoudiennes ont annoncé que des femmes pourraient participer en 2019 au marathon international de Ryad, jusque-là réservé aux hommes.
La police religieuse, qui a longtemps ciblé les femmes maquillées ou celles faisant des exercices de sport en public, a quasiment disparu des rues.
- "Vêtements décents" -
Et l'idée autrefois impensable de se débarrasser de l'abaya semble gagner du terrain.
"Les lois sont très claires et stipulées dans la charia (loi islamique): que les femmes portent des vêtements décents et respectueux, comme les hommes", a déclaré en mars le prince héritier Mohammed ben Salmane à la chaîne de télévision CBS.
"Cependant, cela ne spécifie pas particulièrement une abaya noire. Il appartient aux femmes de décider du type de vêtements décents et respectueux à porter", a-t-il ajouté.
Dans la même veine, deux hauts dignitaires religieux ont tenu des propos remarqués: cheikh Ahmed ben Qassim al-Ghamdi a rejeté l'idée selon laquelle les abayas doivent être noires; cheikh Abdullah al-Mutlaq a, lui, estimé en février que les femmes ne devraient pas être contraintes de porter l'abaya.
A l'inverse, ces évolutions suscitent des réactions négatives dans cette société imprégnée d'un fort conservatisme.
"On dirait des nettoyeuses!", a affirmé un tweet en réponse à des images de femmes habillées en abayas sportives.
"Leur but n'est pas le sport. Nous avons toutes couru en voile intégral", a tweeté une femme opposée à ces évolutions vestimentaires.
Marwa al-Hadi, une cliente de longue date d'Eman Joharjy, entre dans le studio en portant un de ses modèles d'abaya sportive avec des baskets magenta.
"L'abaya, c'est comme le sari indien, cela fait partie de notre identité", lui dit la créatrice en parlant de l'évolution du vêtement. "Mais si Dieu ne voulait pas que les femmes fassent du sport, nous n'aurions pas de muscles ni de corps".
La cliente opine. "Ce n'est l'affaire de personne de remettre en cause ce que je porte."
Avec Afp