Auréolée de cette troisième couronne continentale, l'EST débute son parcours dans l'édition 2019 de C1 africaine vendredi à Conakry, face au Horoya AC.
"Taraji Daoula" ("L'Espérance est un Etat"), clame de son côté à Tunis Mohamed Habib Hosni, cuisinier venu d'Italie avec son fils pour admirer la galerie de trophées du club, le plus titré du pays.
Ces récompenses sont exposées dans le local historique du quartier populaire de Bab Souika, fief espérantiste aux abords de la médina où l'on fête chaque succès à coup d'hymnes et de fumigènes.
"C'est du sang rouge et or qui coule dans les veines de tous les +Mkacherines+ (les fans de l'EST)", dit encore Mohamed, la cinquantaine.
Créée le 15 janvier 1919 sous le protectorat français, dans un café de Bab Souika, par Mohamed Zouaoui, un cordonnier, et El Hédi Kallel, un simple fonctionnaire, l'Espérance était "le club qui incarnait le mouvement national", affirme l'historien Mohamed Dhifallah.
"Il était surnommé le +club des musulmans+ car il ne comptait que des joueurs tunisiens, alors que les autres étaient réservés aux Français et Italiens", déclare-t-il à l'AFP .
- "Musique, danse et encens" -
Un siècle plus tard, les moyens de la formation tunisienne peuvent certes paraître modestes au regard des grandes formations du continent européen.
Mais avec ses 45 titres, dont 28 championnats, et trois Ligue des champions --la dernière en novembre face au monstre sacré égyptien Al-Ahly--, l'EST fait figure de principale institution sportive du pays. D'autant que l'Espérance compte aussi des sections handball, volley ou encore natation également très titrées.
Son seul vrai rival est le Club Africain, grand voisin fondé une année plus tard dans un quartier adjacent. Celui-ci s'enorgueillit notamment d'avoir compté un président tunisien dès sa création en 1920 --au contraire de l'EST à qui avait d'abord été imposé un Français, Louis Montassier. A l'époque du protectorat, Habib Bourguiba, futur père de l'indépendance, en fut le vice-président, relève Mohamed Dhifallah.
Mohamed Habib Hosni demeure lui intarissable. "+Taraji+ nous réjouit et nous rapproche. Quand nous remportons une finale, tout le quartier (...) se soulève!", dit-il. Du plus loin qu'il se souvienne, "chaque victoire de l'EST était comme une fête de mariage avec musique, danse et encens".
Au delà de Bab Souika, la ferveur est sensible dans de nombreuses autres villes du pays.
Selon Mohamed Dhifallah, les rencontres face aux "clubs français" étaient alors "vécues comme des batailles: si l'Espérance arrivait à battre ces grosses pointures (...), cela voulait dire que la Tunisie pouvait aussi combattre politiquement, et se libérer", avance pour sa part l'écrivain Abdelaziz Belkhodja.
- "Institution sociale" -
Dans la Tunisie indépendante, le club a traîné une réputation de formation proche du pouvoir, et sa direction était effectivement liée aux régimes de Bourguiba puis de Zine el Abidine Ben Ali. Mais son public très divers, transcendant les clivages, lui a permis de conserver une place à part.
L'EST est même devenue "une institution sociale" car elle joue "un rôle dans l'encadrement des jeunes qui n'ont pas réussi leur études: l'engagement auprès de cette équipe représente pour eux une deuxième chance, une autre opportunité dans la vie", note le sociologue Mohamed Jouili.
"La forte présence dans le tissu social tunisien est renforcée par le sentiment d'appartenance au sein des groupes ultras", poursuit-il.
Ces groupes sont restés éloignés de la politique, même si certains slogans lancés lors des "dakhlas", les spectacles longuement préparés pour les grands matches, peuvent peser dans le débat public.
Revers de la médaille: les violences récurrentes entre groupes de fans ont entraîné des restrictions quasi systématiques des accès aux matches, et les stades sont régulièrement à moitié vides ces dernières années.
Mais pour Ameur Bahri, un ex-journaliste de 88 ans devenu la mémoire du club, l'Espérance "n'est pas seulement jeu et victoire": "c'est un phénomène social parce qu'elle a formé des générations utiles à la société".