En matinée, la TV d'Etat avait suspendu ses programmes, annoncé une "déclaration importante de l'armée" et les manifestants, descendus par milliers dans la rue, avaient déjà commencé à chanter et danser, devinant la chute de Béchir, au pouvoir depuis près de 30 ans.
Après de longues heures d'attente, l'armée a pris la parole pour annoncer la fin du régime, remplacé par "conseil militaire de transition" pour deux ans.
En liesse, les Soudanais, qui agitaient des drapeaux en chantant dans les rues de Khartoum, ont d'abord embrassé et pris dans leurs bras des soldats, avant de danser sur des blindés.
Puis ils ont déchanté.
"Il n'y aura pas de changement si le régime de Béchir trompe les Soudanais avec un coup d'Etat militaire", regrette sur Twitter Alaa Salah, une jeune étudiante devenue "l'icône" du mouvement de contestation.
Très vite, la déception s'est transformée en colère. "On ne part pas! On ne part pas!", ont scandé des manifestants.
"On veut la chute (du régime) et rien d'autre!", ont-ils encore crié devant le QG des forces militaires où ils campent depuis la 6e journée consécutive pour convaincre les soldats de rejoindre leur mouvement.
Des contestataires ont même réinstallé les barricades qui bloquent les rues menant au QG, qui abrite aussi le ministère de la Défense et la résidence officielle du président. Le matin, ils étaient pourtant en train de les démonter.
Parmi les annonces de l'armée, l'une vise à mettre fin aux nuits passées devant le QG: désormais, le pays sera sous couvre-feu de 22H00 à 04H00 locales, soit de 20H00 GMT à 02H00 GMT.
Mais à l'approche de la nuit, rien ne semble moins sûr. Si certains manifestants ont quitté les lieux après des heures sous un soleil de plomb, d'autres arrivent, plus déterminés que jamais.
"C'est une mascarade. Le régime n'est pas tombé. C'est le même régime qui se reproduit", s'indigne un manifestant, agitant vigoureusement les bras pour appuyer ses propos.
Omar el-Béchir "est un chef assoiffé de sang et recherché" par la justice internationale, accuse un autre. "Il nous ramène un nouveau régime et c'est totalement inacceptable".
Le ministre de la Défense Awad Ahmed "Benawf et Béchir sont les deux faces d'une même pièce", s'énerve de son côté une manifestante, le visage encadré par un voile rouge vif.
"Les jeunes et tous les Soudanais voient bien ce qui est en train d'arriver: le gouvernement nous manipule", insiste-t-elle.
Autour d'elle, des contestataires encouragent leurs camarades à rester sur place. Le couvre-feu ne doit rien changer à la mobilisation, plaident-ils.
Non loin, des drapeaux nationaux continuent de flotter, et la scène semble faire écho à celle de drapeaux algériens brandis à des milliers de kilomètres de là par les manifestants à Alger, qui ont obtenu le 2 avril la démission du président algérien Abdelaziz Bouteflika, après 20 ans au pouvoir.
Si les manifestations en Algérie se sont déroulées dans le calme, le mouvement de contestation au Soudan, débuté le 19 décembre après la décision du gouvernement de tripler le prix du pain, a été marqué par la mort de 49 personnes, selon un bilan officiel.
"Le sang de nos frères ne doit pas avoir coulé pour rien", martèle un manifestant. La donne politique jeudi soir "n'est qu'une nouvelle photocopie du régime déjà en place", assure-t-il. Pour lui, comme pour tous les autres dehors jeudi soir, les manifestations se prolongeront une nuit et une journée de plus, couvre-feu ou pas.