Rapidement, l'émotion et la joie des retrouvailles ont cédé la place à la colère quand Birtukan a raconté son expérience au Liban, une histoire trop commune de travail mal rémunéré et de maltraitance.
Abiye se joint aujourd'hui aux Ethiopiens qui plaident auprès de leur gouvernement pour qu'il rapatrie des milliers de travailleurs domestiques piégés au Liban, pays en proie à sa plus grave crise économique depuis des décennies.
"C'est trop difficile là-bas", dit-il à l'AFP. "Evidemment, on devrait les ramener à la maison." Environ 250.000 immigrés sont employés comme domestiques au Liban, une majorité étant éthiopiens.
Un système de parrainage connu sous le nom de "kafala" laisse les femmes de ménage, nourrices et autres aides à domicile hors du droit du travail libanais et à la merci de leurs employeurs.
Leur situation a été mise en lumière ces dernières semaines, lorsque des dizaines de femmes ont été renvoyées sans ménagement par leurs patrons et déposées devant le consulat éthiopien à Beyrouth.
Pendant des années, des Ethiopiennes ont enduré au Liban des violences physiques et sexuelles, un confinement forcé et le non-paiement de leurs salaires, accusent les militants des droits humains.
- Le système de la "kafala" -
Pire encore, les autorités éthiopiennes ont fermé les yeux sur ces abus, regrette Banchi Yimer, fondatrice d'une ONG qui défend les droits des travailleurs migrants. "Rien n'a été fait par le gouvernement éthiopien", assène-t-elle.
Comme beaucoup d'Ethiopiennes, Birtukan a fait confiance aux intermédiaires qui lui ont assuré qu'aller travailler au Liban lui permettrait d'améliorer le sort de sa famille.
Contre 7.000 birr (180 euros), ils ont promis de tout organiser. Mais arrivée à Beyrouth, elle a appris que les intermédiaires empocheraient ses deux premiers mois de salaire. Ceux-ci ont ensuite rompu tout contact et son employeur libanais a refusé de la payer.
La "kafala", un système largement généralisé au Moyen-Orient, prévoit que l'employé ne peut quitter son travail sans le consentement de son patron.
Birtukan a passé de longues heures à passer la serpillère, nettoyer les salles de bain, repasser les vêtements, tout en comptant impatiemment les jours qui passaient.
"Je ne voyais personne d'autre. Et même parler au téléphone, si j'essayais, ils m'en empêchaient", explique-t-elle, des larmes coulant sur ses joues.
Elle s'est enfuie en utilisant la clé d'entrée oubliée par un des enfants de la famille. Elle a ensuite réussi à obtenir une place sur un des vols affrétés en mai par le gouvernement éthiopien.
Mais seulement 650 Éthiopiennes ont été rapatriées jusqu'ici. Alors que la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19 aggrave les difficultés économiques du Liban, Birtukan espère que d'autres vont suivre.
- 'Tout le monde veut rentrer' -
"Le gouvernement devrait ramener toutes les femmes qui sont là-bas", estime-t-elle. "Elle dorment sous des ponts. Elles n'ont pas suffisamment à manger."
Le ministère éthiopien des Affaires étrangères et le consulat éthiopien à Beyrouth n'ont pas répondu aux sollicitations de l'AFP.
Certaines femmes restent malgré tout contentes d'avoir osé se rendre au Liban. Almaz Gezaheng, 32 ans, y est partie en 2008 pour travailler pour une famille.
Elle a trouvé le salaire trop maigre et les conditions de travail trop dures. Mais après avoir quitté cet emploi, elle en a trouvé un autre de femme de ménage dans un salon de beauté, rémunéré 400 dollars par mois.
Elle a dépensé la moitié de cet argent pour sa famille en Ethiopie, permettant à ses parents de quitter le logement qu'ils louaient à Addis Abeba pour leur propre maison à Sululta, à 30 km au Nord de la capitale.
"Je ne regrette pas d'être allée au Liban", dit-elle. "Au moins, j'ai changé la vie de ma famille, même si je n'ai rien gagné pour moi." Avec la récession au Liban, Almaz a perdu son emploi et épuisé toutes ses économies avant de revenir en Ethiopie.
"L'avenir va être très difficile pour le Liban", pense-t-elle. "Je conseillerais aux jeunes Éthiopiens de rester ici et de créer leur propre emploi plutôt que d'aller là-bas."
Banchi Yimer, à la tête de son ONG, dit entendre parler d’Ethiopiennes désespérées qui essaient de se suicider en avalant de l'eau de javel ou en sautant de balcons.
"L'inaction du gouvernement éthiopien mène les domestiques vers la dépression", regrette-t-elle. "Tout le monde veut rentrer chez soi. Personne ne veut rester au Liban."