La décision est très attendue "car tout le monde aujourd'hui vit connecté" et la séparation entre les vies professionnelles et privées est de plus en plus ténue, souligne-t-on au sein de l'institution.
Saisie par un salarié roumain, la Cour a rendu un premier arrêt dans cette affaire en janvier 2016 et l'a débouté. Il a fait appel et la Cour a accepté un réexamen de sa décision.
Les 17 juges de la Grande Chambre ont forgé leur réflexion lors d'une audience le 30 novembre 2016 au cours de laquelle ils ont entendu les arguments exposés par le gouvernement français et la Confédération européenne des syndicats (CES).
Ces derniers avaient été entendus à leur demande en tant que tiers intervenants.
Le requérant, Bogdan Mihai Barbulescu, est un ingénieur roumain de 38 ans. Son employeur l'avait licencié en 2007, après avoir surveillé ses communications électroniques, constatant que son employé avait utilisé la messagerie de la société à des fins personnelles, en infraction du règlement intérieur.
Contestant la méthode, le salarié avait dénoncé l'espionnage de ses communications par son employeur, en violation du droit au respect de la vie privée et de la correspondance protégés par l'article 8 de la convention européenne des droits de l'Homme.
Les tribunaux roumains avaient jugé que la conduite de l'employeur avait été raisonnable, et que la surveillance des communications de M. Barbulescu avait constitué le seul moyen d'établir qu'il y avait infraction disciplinaire.
Le salarié roumain avait alors saisi la CEDH, qui l'a débouté en janvier 2016: la Cour a confirmé la possibilité pour un employeur de surveiller l'usage de l'internet de la société dans le cadre d'une procédure disciplinaire.
- Encadrer la surveillance -
La nouvelle réflexion des juges de la CEDH a essentiellement porté sur la marge de manoeuvre de l'employeur dans la surveillance de l'utilisation de l'internet par ses salariés.
La connexion de l'entreprise est mise à la disposition des salariés pour leurs activités professionnelles et la surveillance permet à l'employeur de protéger son entreprise contre le piratage de données, les virus informatiques et les utilisations interdites.
La France estime qu'il y a nécessité d'encadrer cette surveillance et d'en informer les salariés. La CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés) impose en France une consultation et une information des salariés sur les dispositifs mis en place, les modalités du contrôle et la durée de conservation des données de connexion.
Elle oblige en outre l'employeur à respecter le secret des correspondances électroniques privées. L'employeur ne peut accéder aux dossiers identifiés comme personnels hors présence du salarié: l'employeur doit s'appuyer sur une décision de justice pour établir la preuve de la faute et la violation du secret de ces correspondances est considérée comme une infraction pénalement sanctionnée.
La Confédération européenne des syndicats s'est pour sa part inquiétée de la validation du licenciement de M. Barbulescu par l'arrêt de janvier 2016, jugeant cette mesure disproportionnée.
Les syndicats réclament une graduation: un avertissement verbal devrait être la première mesure contre le salarié et le licenciement être la sanction pour les infractions répétées ou les violations graves de l'utilisation de l'internet professionnel.
"Si un salarié utilise une enveloppe et un timbre pris dans son entreprise pour envoyer une lettre privée à une personne privée, est-ce que son employeur serait autorisé à ouvrir cette lettre sans en informer le salarié et sans avoir son consentement?", a demandé la CES dans son argumentaire.
"La même chose devrait valoir pour les messages électroniques", a-t-elle conclu.
Avec AFP